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Région de l’Est : le tableau sombre des forêts communautaires du Haut-Nyong

Sur environ 140 forêts communautaires répertoriées dans ce département de la région de l’Est, plus de 70% sont paralysées à cause du manque de partenaires technico-financiers et aux retards dans l’obtention des documents officiels exigés pour l’exploitation annuelle. Par ailleurs, ce secteur d’activité est plongé dans l’illégalité du fait de la corruption, la malédiction, la mafia et l’amateurisme qui jalonnent son mode opératoire. Malgré l’existence des textes dédiant les retombés de leur exploitation aux riverains, les populations et les communes n’en profitent rien.

« La situation des forêts communautaires n’a jamais changée parce que leur fonctionnement dépend des acheteurs du bois. Malheureusement, les propriétés de ce titre d’exploitation forestière dans le département du Haut-Nyong ont des difficultés pour trouver des essences compétitives dans leurs superficies. Par ailleurs, ils ont les problèmes infrastructurels, manque d’équipements d’exploitation et difficultés d’accès dans les forêts à cause du manque des routes, par conséquence, ils ne peuvent réaliser aucun bénéfice au cours de l’année », déplore Onésinne Ebongué Ebongué, gestionnaire de la Communautaire Active pour le Développement des Bakoun, Baka et Pol (CADBAP) basé à Dimako, par ailleurs, président de la Fédération des forêts communautaires du département du Haut-Nyong. M. Ebongue Ebongue enfonce d’avantage le clou en soutenant que « sur 145 forêts communautaires inventoriées dans le département du Haut-Nyong, moins de 30 ont fonctionné l’année dernière ».

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Parlant de l’état des lieux cette année, Metoul Cyriack, vice-président de la Fédération départementale des Unions et GIG du Haut-Nyong, représentant des Forêts communautaires au Comité national de suivi de l’APV-Flegt (CNS) et membre de la forêt communautaire COVINKO 1 à Ngoyla dresse un tableau plus sombre des forêts communautaires de ce département. « Les forêts communautaires du Haut-Nyong ne se portent pas bien à cause de l’épineux problème de retard dans la délivrance des documents exigibles. Il s’agit du certificat d’exploitation annuel (CEA) au niveau du ministère des Forêts et de la faune ». Pour ce dernier, les causes de ce retard sont diverses. « Il y a le retard de présentation des bilans des rapports de l’année précédente par les gestionnaires des forêts communautaires indiquant clairement le pourcentage des essences exploitées au cours de l’année ». Malheureusement, indique Metoul Cyriack, la plupart des propriétaires de ces forêts n’exploitent même pas 25 % de leur superficie à cause du choix d’essence du partenaire technico-financier selon les tendances du marché. Autre chose note-t-il, la majorité des forêts communautaires ont des plans simples de gestions caduques qu’ils ne peuvent plus présenter pour l’obtention du CAE et n’ont pas de moyens pour élaborer de nouveau plan de gestion. Cette situation explique-t-il s’est dégradée depuis 2020 avec le confinement dû à la pandémie du Covid-19. A date, un seul partenaire est en train de travailler avec les forêts communautaires de ce département qui compte 14 unités administratives.

Comme une malédiction

En effet, les forêts communautaires du Haut-Nyong sont malades et paralysées à cause des nombreux dysfonctionnements. « Il arrive parfois que l’on obtient le CAE quatre mois après le début de l’année ce qui réduit considérablement la période d’exploitation à cause des pluies », reconnait Onésinne Ebongué Ebongué qui dénonce la gymnastique administrative liée à la délivrance du certificat annuel d’exploitation. En plus, notre interlocuteur révèle qu’avec l’entrée en application de l’Apv-Flegt, l’obtention du CAE devient plus complexe et couteuse. « Les inventaires de la parcelle annuelle d’exploitation sont désormais les inventaires géo-référentielles. Selon ce système, chaque pied d’arbre est positionné sur GPS. Or avant, on décrivait seulement les essences existants ». Pour faire ce travail, les forêts communautaires doivent acheter un GPS et employer des techniciens qualifiés pour un coût supplémentaire. Avec l’APV-FLEGT signé entre l’Union Européenne et le Cameroun, tout bois vendu sur le marché européen doit justifier son origine légale. Au-delà de ce coût supplémentaire, les forêts communautaires sont confrontées à d’autres difficultés. « Généralement, les parcelles annuelles sont situées très loin des routes carrossables. Il faut parfois transporter les planches sur une distance de 2 km sur la tête, ce qui est très pénible et coûteux. Enfin le manque des capacités managériales des gestionnaires de ces forêts réduit leur rendement», conclut Ebongué Ebongué.

L’exploitation illégale prospère

La loi du 20 janvier 1994 portant sur le régime des Forêts, de la faune et des pêches stipule en son article 37 (3) que « les produits forestiers de toute nature résultant de l’exploitation des forêts communautaires appartiennent entièrement aux communautés concernées afin de lutter contre la pauvreté ». A la faveur de cette loi, plus de 140 forêts communautaires ont été créées dans le Haut-Nyong. En plus, les ministres des Forêts et de la Faune, de l’Administration territoriale et de la décentralisation ainsi que celui des Finances ont signé en 2013, l’arrêté conjoint 076, relatif au suivi de la gestion des revenus issus des redevances forestières annuelles, les forêts communales et communautaires par les communautés locales. Malheureusement, les populations et les communes riveraines disent ne rien profiter de leur exploitation. « Personnellement je ne ressent pas l’impact de l’exploitation de notre forêt dans ma communauté», s’indigne Jeannot, riverain d’une forêt communautaire à Lomié. Selon nos enquêtes, l’exploitation des forêts communautaires de l’Est en général et le Haut-Nyong en particulier n’a aucun impact sur la vie de leurs riverains en termes de développement socioéconomique.

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Plus grave, dans la plupart de cas, ces forêts sont taxées d’être des sanctuaires d’exploitation illégale à travers la vente des lettres de voiture aux exploitants illégaux. On se rappelle à cet effet qu’au cours d’une session ordinaire du conseil municipal de la commune de Dimako, Janvier Mongui Sossomba de regretté mémoire, alors maire de cette municipalité avait solennellement épinglé le chef du village Baka, d’avoir favorisé l’exploitation illégale des forêts dans sa localité. Il parlait alors de la « non dénonciation » des exploitants illégaux qui utilisent des lettres de voiture des forêts communautaires pour évacuer leur bois. « Je vais te faire enfermer » avait lâché le maire à l’endroit de ce chef de village qui tremblait devant les conseillers municipaux. En outre, le regretté maire avait avoué que sa commune n’a jamais reçu un radis en provenance des forêts communautaires de Dimako dans son budget. Avant de conclure que « les forêts communautaires sont tout simplement des canaux d’exploitation illégale des forêts et ne participent pas au développement local ». Du côté de Mindourou, toujours dans le Haut-Nyong, situé à 60 km d’Abong-Mbang, la situation de la commune est identique. « Il y a beaucoup des forêts communautaires qui ne fonctionnent pas parce que leurs dossiers sont bloqués au MINFOF, dont la commune ne gagne rien », indique Richard Zengle Ntou, le maire en précisant que «la commune envisage financer l’aboutissement des dossiers de ces forêts et rencontrer les partenaires de l’ensemble des forêts communautaires de Mindourou, afin d’élaborer un mécanisme de contrôle des cubages exploités pour permettre à la commune d’avoir sa quote-part dans cette activité ».

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A Ngoyla, localité située à l’extrême Sud-est du Cameroun et frontalière avec le Congo-Brazzaville, un rapport de WWF et de l’Union Européenne publié en 2015 révèle que « les forêts communautaires créées en 2000 sont affectées par les activités d’exploitation illégale provoqué par le flux des populations à cause de l’installation des industries extractives et des sociétés d’exploitations forestières industrielle». Le même rapport constate que la pauvreté des populations locales leur conduire à brader leurs forêts aux exploitants illégaux à vil prix. « Il est question de donner un moyen alternatif de revenu aux populations afin qu’elles préservent leurs forêts », soutient le responsable du projet WWF-EU/REDD/Ngoyla-Mintom.

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Après avoir constaté cette mafia qui s’est développé autour des forêts communautaires, le ministère des Finances a décidé de voir plus clair. « Il a été constaté que les propriétés des forêts communautaires se livrent à une concurrence déloyale avec ceux des UFA et les ventes de coupe. En effet, les produits de ces FC sont commercialisés par des exploitants véreux pour leur propre compte au détriment de l’intérêt de la communauté concernée alors qu’il ne paient pas des taxes à l’Etat », regrette le chef de Centre spécialisé des impôts de l’Est. Ce dernier affirme que l’un des objectifs des impôts « est de mettre un terme à cette tricherie qui a longtemps durée ». A ce sujet « le Centre spécialisé va saisir le Programme de sécurisation des recettes forestières (PSRF) afin de connaitre la cartographie et l’état exact de l’exploitation des forêts communautaires à l’Est ».

« Il faut autonomiser les communautés »

Metoul Cyriack, Représentant des Forêts communautaires au Comité national de suivi de l’APV-Flegt (CNS)

Il faut organiser et structurer les communautés bénéficiaires de titre de forêt communautaires à être les vrais acteurs et bénéficiaires des retombées de ces forêts tel que stipulé par la loi de 1994. Après cette structuration, il faut maintenant autonomiser ces communautés par la création des infrastructures économiques. A savoir le désenclavement des zones de production par l’ouverture des voies d’accès et d’évacuation des produits des forêts communautaires et l’octroi des équipements de production tel que le Lucas Mill, les tronçonneuses et les moyens de transport de produits vers les potentiels clients. Voilà des initiatives à prendre par l’Etat et les partenaires au développement pour rendre les forêts communautaires opérationnelles. Cela va éviter des conflits entre les populations d’une même localité, les autorités administratives et les exploitants illégaux signalés ici et là. (NDLR : A Ntollock, village situé à 20 km de Messamena, une opposition farouche de la population avait abouti il y a quelques années à la confiscation de la lucas mill (engin de scillage de bois à grande échelle) d’un exploitant illégal dans la forêt communautaire Mindourou-Messamena et l’UFA10.049.

Martin Foula

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