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Règlementation des changes : Célestin Tawamba peut-il faire reculer la Beac ?

Amenés par le président du Gicam, les patrons de la Cemac sollicitent un assouplissement de la réglementation des changes. La Beac ne l’envisage pas. Du moins…pour le moment.

Plus que un mois et demi et les importateurs de biens et services dans la zone Cemac qui n’auront pas fourni les pièces (facture définitive, document de transport, documents douaniers, procès-verbal de recette) prévues pour l’apurement de leurs dossiers d’importation, seront sanctionnés par la Banque des Etats de l’Afrique centrale(Beac).  Ayant constaté une forte prédominance des transferts de devises sortants sur les entrants, l’institut d’émission avait  édicté, fin avril, une lettre circulaire donnant 3 mois aux assujettis pour transmettre la documentation requise. L’objectif étant non seulement de mettre la main sur les auteurs de cette sortie frauduleuse de devises, mais aussi et surtout, décourager l’émission des transferts sans fondement économique qui cachent des opérations de blanchiment et d’évasion des capitaux.

Règlementation contraignante

Si à première vue, la décision est louable pour les économies de la sous régions, elle ne fait pourtant pas l’unanimité. Les premiers à s’en plaindre sont les assujettis qui la trouvent particulièrement contraignante, voire « économicide ».  Et pour porter cette voix dissidente, qui de mieux que Célestin Tawamba ? L’intrépide président du groupement interpatronal du Cameroun(Gicam), déjà en porte à faux avec certaines autorités gouvernementales de son pays, n’a pas manqué d’ouvrir un autre front de contestation pour solliciter un rallongement des délais à la faveur de ses homologues. «La régulation est importante pour la soutenabilité de notre monnaie. Mais fort est de constater aujourd’hui que trop de réglementation est un obstacle à l’activité économique. Il est important d’obtenir de la Beac des mesures d’assouplissement pour accompagner l’activité économique, faire bénéficier aux entreprises des mesures de soutien mises en place par la Beac pour les entreprises sinistrées, à changer les mesures prudentielles au niveau de la Beac » déclarait Célestin Tawamba, le 14 avril dernier lors d’une rencontre entre le Gicam et l’Apeccam. Ayant sollicité la banque centrale pour l’objet susmentionné, le Gicam s’est vu délivré une fin de non-recevoir. Et c’est ainsi que pour amplifier l’écho de son plaidoyer, le PDG de Cady invest (un conglomérat diversifié d’actifs dans l’agroalimentaire et l’industrie pharmaceutique) a décidé de le porter à l’échelle sous régionale.

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En qualité de président de l’Union des Patronats d’Afrique Centrale (Unipace), le PDG de Célestin Tawamba réussit à fédérer les patrons du Congo, du Gabon et de RCA autour de la même cause. Au cours de leurs assemblée générale tenu le 11 mai dernier, les présidents et représentants de la Confédération patronale gabonaise(CPG), de l’Union Patronale et interprofessionnelle du Congo (Unicongo), du Groupement interprofessionnel de Centrafrique(Gica) et du Gicam, disent éprouver des difficultés  quant à l’application des nouvelles dispositions, notamment « la collecte des justificatifs demandés par les banques aux entreprises sur les opérations censés être apurés ; l’obtention des pièces justificatives émanant de diverses administrations ; l’antériorité  de certains dossiers de transfert déjà archivés et l’absence de visibilité des entreprises sur le réel motif de blocage de certains transfert » précise l’Unipace. Une situation qui, selon eux, pourrait occasionner une pénurie des produits et denrées alimentaires sur le marché avec le risque de rupture de stock des matières premières et intrants, des fournitures et pièces de rechange des industries. « Ceci expose la sous-région à un arrêt complet d’activités économiques dans certains secteurs importants dont l’industrie agroalimentaire », écrivent-ils alarmiste.

Moratoire

Pour éviter ce « déluge», les patrons de la sous-région demandent un sursis dans la livraison de leurs dossiers d’apurement ; soit 6 mois au lieu de 3. Ils  s’appuient sur le « privilège » dont aurait bénéficié la Guinée Equatoriale pour solliciter un traitement pour le moins équitable, compte tenu de la similitude des problèmes. Dans la sous-région, le Cameroun et le Gabon font office de mauvais élèves dans la transmission de ces dossiers pour apurements. Selon les données de la Beac, le taux de transmission des dossiers d’apurement par les assujettis au 31 mars  2021 était de 35,95%. Sur 21 834 dossiers attendus des entreprises camerounaises, seuls 12 814 dossiers ont été transmis à la Beac soit 9020 dossiers encore attendus. Au Gabon, sur les 7 231 dossiers attendus, 1 692 ont été transmis soit un reste de 10 890. La RCA pour sa part n’a transmis aucun des 508 dossiers qui  étaient attendus. Selon l’Unipace, ce sursis devrait leur permettre de réunir toute la documentation afin d’être en règle avec les exigences de la Banque centrale.  

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En attendant, une réponse de la Beac, Célestin Tawamba et avec lui toute la communauté des affaires de la sous-région n’entendent pas s’arrêter là. « Le préjudice pour l’économie est immense ; même s’il faut porter le plaidoyer auprès des chefs d’Etats nous le ferons ; d’ailleurs nous y travaillons déjà » nous révèle un membre du Gicam. A l’échelle nationale, le patron des patrons avait déjà suscité l’intervention du ministre camerounais des finances sur ce problème. Une réunion avait même été improvisée au ministère le 27 avril dernier par Louis Paul Motaze à laquelle prenaient part le Gicam l’Apeccam et des représentants de la Beac. Le patron du Gicam espérait alors obtenir le soutien des autorités locales comme cela a été le cas avec la Guinée Equatoriale dont le plaidoyer a été mené par le ministre équato-guinéen des finances. Mais jusqu’ici, le gouvernement camerounais tarde à réagir, ce qui pousse le patronat à maintenir la pression sur la beac.

 « Dilatoire inacceptable »

Jusqu’ici, Abbas Mahamat Tolli ne s’est pas encore officiellement exprimé sur cette question. Mais c’est un trompe l’œil car depuis les services de la Beac à Yaoundé, le gouverneur suit de très près ce dossier. Taciturne, et souvent qualifié d’ « autoritaire », ce diplômé de l’Université du Québec n’entend pas reculer d’une seule virgule car le non apurement des dossiers d’importation a pour l’essentiel contribué à ponctionner les réserves de la Cemac.  Entre 2018 et 2019, les devises rétrocédées à la banque centrale sont passées de FCFA 3 277,84 milliards à FCFA 6 201,18 milliards (+89,18%). Il en est de même entre 2019 et 2020 où les rétrocessions progressent de 27,62% à FCFA 7 914,36 milliards. Des efforts sont cependant annihilés par une augmentation plus vigoureuse des transferts sortants. Ceux-ci sont passés de 2 816,52 milliards de FCFA en 2018 à FCFA 4 832,76 milliards en 2019. Ils affichent ensuite une envolée de 71% à FCFA 8 304,74 milliards entre 2019 et 2020. A la Beac, l’on pense qu’un moratoire « donnerait probablement du temps à tous les fraudeurs d’élaborer des documents factices et ne serait aucunement utiles aux autres agents économiques » révèle une source interne qui poursuit, « évoquer l’antériorité de certains dossiers de transferts déjà archivés relève simplement d’un dilatoire inacceptable ».

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Sur le cas de  la Guinée Equatoriale qui selon l’Unipace aurait bénéficié d’un traitement « préférentiel », notre source explique que cette décision a pris en compte les explosions de Bata survenus le 7 mars dernier lesquels ont relevé des dysfonctionnements au niveau des services douaniers.

Chantage à la pénurie

A la Beac, la mise en garde des patrons sur les risques de pénurie est considérée comme un moyen de chantage en vue d’encourager « l’économie de la fraude » alimentée par de fausses importations qui sont en réalité de véritables évasions de capitaux et/ou des contournements douaniers « Les agents économiques doivent s’atteler à fournir les documents d’apurement sollicités. Les difficultés ou des cas particuliers éventuels doivent être portées à l’attention de la BEAC qui les examinera au cas par cas » explique un cadre à la Beac. Depuis l’annonce de cette mesure par la Beac, les réserves se reconstituent peu à peu. Sur le mois d’avril 2021, la balance entre les rétrocessions et les transferts émis est excédentaire de FCFA 293,45 milliards contrairement aux trois premiers mois de l’année en cours où elle était structurellement déficitaire, comme le montre le tableau ci-après. Les réserves de change se consolident entre mars et avril 2021, passant de FCFA 3 858 milliards à FCFA 4 112 milliards grâce essentiellement à l’augmentation du solde du compte d’opération qui croît de 11,08% à FCFA 3 264,69 milliards entre les deux mois.

Sanctions

En attendant la forclusion des délais qu’elle a prescrit, Abbas Mahamat Tolli n’a pas manqué de rappeler les sanctions auxquels s’exposent les opérateurs économiques qui refusent de se conformer à cette norme. « En I’absence de transmission par l’établissement de crédit des documents d’apurement concernés dans les quinze (15) jours suivant l’envoi de la lettre de constat, l’agent économique est mis en demeure par la Banque Centrale de payer les pénalités prévues par la Réglementation des Changes. Si au terme du délai prévu par la mise en demeure, I’agent économique ne s’est pas acquitté de la pénalité due, la Banque Centrale ordonne à l’établissement de crédit, teneur de son compte, de procéder sans délai au débit d’office dans ses livres du montant correspondant à celle-ci. Outre I’application des pénalités en vigueur en cas de non apurement d’un dossier de transfert. I’agent économique contrevenant est enregistré dans la liste des agents économiques non autorisés à effectuer des règlements en devises » précise le gouverneur de la Beac.

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