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Réglementation des changes : pas de nouveau moratoire pour pétroliers et miniers

Avec le soutien du FMI et des Etats, la Beac semble bien décidée à faire la lumière sur les revenus générés par l’exploitation des ressources naturelles.

Le 31 décembre 2021 marque la fin du moratoire accordé par la Banque des Etats de l’Afrique Centrale(Beac) aux compagnies minières et pétrolières pour leur mise en conformité avec la nouvelle réglementation des changes. Dès l’année prochaine, ils seront tenus de domicilier leurs recettes d’exportations dans la sous-région, clôturer leurs comptes en devises on-shore et off-shore et rapatrier toutes les recettes issues de leurs activités. L’application de cette norme communautaire devrait permettre à la banque centrale de disposer de davantage de réserves nécessaires pour garantir la sta­bilité de la monnaie. Avec des niveaux de production actuels de 700 000 barils de pétrole par jour et 5 millions de tonnes de GNL par an, la Cemac reste l’une des régions les plus riches du monde. Si cette norme communautaire est d’application obligatoire pour tous les opérateurs effectuant des transactions avec l’extérieur, difficile d’affirmer avec certitude qu’elle le sera dès le 1er janvier prochain. Car cest bien la 4e fois que les compagnies pétrolières et minières parviennent à s’en soustraire à travers des textes particuliers de dérogation.

Nouvelle offensive

Recrutement de lobbyistes américain et africains, campagnes médiatiques, lobbying auprès des dirigeants de la sous-région, pressions diplomatiques… jusqu’ici les compagnies minières et pétrolières qui opèrent en Afrique centrale ont toujours réussi à se soustraire à l’application de la nouvelle règlementation des changes qu’ils jugent « excessivement agressive » pour leurs opérations internationales.   A quelques mois de la forclusion du délai de mise en conformité accordé par la Beac, elles entendent rééditer l’exploit.  Depuis quelques semaines, apprend-on de bonnes sources, le personnel diplomatique des pays qui abritent leurs sièges est mis à contribution pour infléchir la position de la banque centrale. Selon les informations de EcoMatin, le gouverneur de la Beac, Abbas Mahamat Tolli a d’ailleurs été convié ce mois-ci pour un échange à la chambre de Commerce de Washington. Invitation formelle au cours de laquelle il pourra être entretenu sur les entraves causées par cette norme communautaire sur les activités des multinationales minières et pétrolières.

Lire aussi : Règlementation des changes : les patrons de la Cemac font reculer la Beac 

Rien de nouveau sous le soleil mais sans doute une ultime tentative de conciliation. Pour ces compagnies, les entraves à leur business sont de plusieurs ordres. Elles considèrent par exemple que le rapatrie­ment des recettes d’exportation entraverait l’accès à des financements auprès des banques in­ternationales et limitent l’accès immédiat aux devises pour le règlement des fournisseurs dans des délais requis. Sur l’interdiction de procéder à l’ouverture d’un compte en devises hors de la Cemac et dans la Cemac sans autorisation préalable de la Beac, elles considèrent que la détention des comptes en devises à l’étranger est une condition d’emprunt sur le marché bancaire international et un moyen de paiement, dans les délais, des fournisseurs implantés hors Cemac. De même, l’obligation de rapatriement des fonds de réha­bilitation des sites prévue par la réglementation des changes pour eux est un leurre. Elles estiment que la Cemac n’est pas en mesure de sécuriser ces fonds jusqu’au terme de leurs contrats d’exploitation et préfèrent les préserver dans des comptes à l’étranger. Leur objectif est donc simple : parvenir à un démantèlement de certaines dispositions de cette réglementation, ou à tout le moins, obtenir purement et simplement une réécriture de l’instrument juridique communautaire dans le sens de faire sortir les entreprises des secteurs minier et pétrolier de la liste des assujettis au règlement Cemac portant réglementation des changes dans la sous-région.

 « Concrètement, il faudrait plusieurs mois à une société de services locaux de la Cemac pour honorer ses engagements contractuels avec un opérateur, contre seulement quelques jours ou semaines pour tout autre concurrent non contraint par la même réglementation. En conséquence, les entreprises d’Afrique sont condamnées à perdre inexorablement les contrats qu’elles ont travaillé si dur pour obtenir des opérateurs étrangers présents en Afrique Centrale » déplore la chambre africaine de l’énergie. « Grâce à des règles de change ajustées, à des politiques fiscales accrues et à des flux de capitaux restreints, les entreprises locales ne seront pas en mesure de rivaliser ou d’établir des partenariats avec des entreprises internationales, ce qui entraînera des pertes d’emplois et la pauvreté énergétique associée. Si l’idée de la BEAC est de nuire aux investisseurs, non seulement ils le font, mais ils nuisent également aux entreprises locales et les bureaucrates de la BEAC ne devraient pas choisir les gagnants et les perdants. Cela va à l’encontre des politiques favorables à la croissance et axées sur le marché qui assureront la croissance économique plutôt que de mendier de l’aide étrangère » renchérit NJ Ayuk, le président exécutif de ce mouvement qui regroupe les opérateurs miniers et pétroliers africains.

Comme le roseau qui plie sans toutefois rompre

Selon un document déposé au cabinet du ministre camerounais des finances et consulté par EcoMatin, Abbas Mahamat Tolli est bien décidé à « prendre ses responsabilités » en appliquant ce règlement à tous les assujettis pétroliers et miniers y compris. Le gouverneur de la Beac l’a d’ailleurs fait savoir aux chefs d’Etats de la Cemac. En novembre 2020 quand il décidait de leur accorder un délai supplémentaire d’un an pour se conformer, le gouverneur de la Beac invitait les multinationales pétrolières et minières à « régulariser les comptes en devises qu’elles détiennent en sollicitant les autorisations requises à régulariser toutes opérations soumises à déclaration réalisées avant l’entrée en vigueur du Règlement N°02/18/CEMAC/UMAC/CM susvisé et durant cette période dérogatoire (emprunts, remboursements, prêts, investissements directs, investissements de portefeuille, opérations de couverture contre le risque de change, etc.) et à communiquer à la Banque Centrale toute information sollicitée ».

Lire aussi :  Règlementation des changes : Célestin Tawamba peut-il faire reculer la Beac ? 

La banque centrale a depuis lors tenu des rencontres B to B avec les opérateurs pour tenter de leur appliquer ne serait-ce que de manière « souple » le règlement. « Les sociétés pétrolières veulent une approche globale c’est-à-dire que eux d’un côté et la Beac en face. Or la Beac a pris sur elle de procéder à des discussions individuelles et s’est bien rendue compte que tous n’ont pas  les mêmes préoccupations. La Beac est disposée à faire des concessions mais le règlement doit être appliqué » explique un cadre au Minfi. Pour mener à bien sa réforme, Abbas Mahamat Tolli a reçu l’onction des chefs d’Etats de la Cemac lors du sommet extraordinaire du 18 août 2021. Ces derniers ont réaffirmé leur engagement à la « poursuite d’une politique monétaire prudente et efficace et l’application judicieuse de la réglementation des changes à tous les secteurs d’activités » et encouragé la Beac à poursuivre toutes les actions entreprises ou envisagées dans ce domaine.

Un engagement qu’ils se sont tenus eux même à respecter en transmettant plus tôt à la banque centrale les contrats miniers et pétroliers signés avec ces entreprises, lesquels dérogent pour la plupart à la ré­glementation des changes. La Beac a ainsi reçu, entre fin 2019 et septembre 2020, un total de 139 contrats et conventions pé­troliers et miniers. Pour sa part, le Fonds monétaire International(FMI) accentue la pression sur la Beac pour qu’elle mette en œuvre l’exigence de rapatriement des devises des entreprises du secteur extractif, quitte à leur permettre de bénéficier de comptes en monnaie étrangères auprès de la Beac. 

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