Secteur bancaire : les banques et microfinances sous-pression
Règlementation des changes, lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, lutte contre la fraude douanière et les flux illicites de fonds... les autorités monétaires sous régionales et nationales ont décidé de contraindre les établissements de crédits de leur communiquer un certain nombre d’informations sur leurs clients et sur leurs transactions financières. Quitte à mettre en cause le sacro-saint principe du secret bancaire ?

Le 5 octobre 2020, le gouverneur de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac), a rendu publique une instruction précisant les conditions et les modalités de réalisation des opérations relatives aux investissements directs et aux investissements de portefeuille entrants et sortants de la zone Cemac. Globalement, cette instruction fait désormais obligation aux agents économiques résidants et non résidants concernés, de déclarer leurs opérations, dont certaines doivent être dûment autorisées par la Beac, 30 jours au moins avant leur réalisation. Les établissements de crédit de la sous-région ont aussi obligation d’exiger un certain nombre de documents de leurs clients avant d’effectuer les mouvements de fonds relatifs à ces investissements, la Beac se réservant, à postériori, le droit de procéder aux vérifications nécessaires auprès de ces banques et microfinances.
Le même jour, la même autorité a signé une lettre circulaire à l’adresse des directeurs généraux des établissements de crédit et des autres agents économiques, lettre circulaire dans laquelle elle précise les documents justificatifs à fournir par les agents économiques à leurs banques dans le cadre de la réalisation des opérations relatives aux investissements directs et de portefeuille avec l’étranger.
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Ces nouvelles dispositions, prisent en droite ligne de la nouvelle réglementation des changes en vigueur dans la sous-région, visent à assurer, selon la Beac, un meilleur suivi des transferts sortants et de la position extérieure de la sous-région. Elles visent aussi à lutter contre les fuites illicites de capitaux et le blanchiment d’argent.
Sanctions pécuniaires
Pour lutter contre la fraude fiscale, les autorités camerounaises envisagent elles aussi de renforcer la transparence dans les opérations d’import-export, en impliquant davantage les banques et les microfinances. L’une des innovations fiscales arrêtées dans le projet de loi de Finances 2021 porte en effet sur la procédure d’alerte qui sera instituée pour les intermédiaires agréés (les établissements de crédit en l’occurrence), dans l’hypothèse d’un doute sur la sincérité des informations fournies par un client. Bien plus, ces établissements de crédit auront désormais l’obligation, si cette disposition n’est guère modifiée par le Parlement, de communiquer à l’administration des Douanes, au plus tard le 10 de chaque mois, toutes les informations relatives aux transactions financières de leurs clients engagés dans des opérations de commerce international.
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Le projet de Loi de Finances rappelle d’ailleurs les dispositions particulièrement répressives du Code des Douanes Cemac, contre la non communication dans les délais impartis desdites informations. Par exemple, l’article 398 dudit Code des Douanes stipule que «est passible d’une amende de 500.000 à 2.000.000 FCFA, tout refus de communication de pièces ou d’opérations dans les cas prévus aux dispositions des articles 76 et 116 ci-dessus». (Voir EcoMatin a pu vous en rendre compte dans son édition 385 du lundi 23 novembre 2020).
On le voit, que ce soit au niveau régional, ou au niveau national, les autorités ont décidé de faire pression sur les banques afin d’en obtenir une libération d’informations sur leurs clients et leurs transactions, informations à même d’adresser des phénomènes financiers particulièrement nocifs à l’économie. Cette pression n’est-elle pas en mesure de se muer en un sérieux coup de canif au sacro-saint principe du secret bancaire, absolument nécessaire au fonctionnement du secteur ?
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«Je ne le crois pas. Les dispositions en vigueur en la matière obligent déjà les banques à exiger de leurs clients, des justificatifs sur l’origine de leurs fonds. Les nouvelles dispositions viennent simplement renforcer ce dispositif. Les banques ne devraient donc pas se plaindre, sauf si elles-mêmes sont impliquées consciemment dans des activités peu recommandables», commence M. Angoula, enseignant de droit bancaire. Qui ajoute : «Toutes les actions que peut mener la Beac ou la Cobac (Commission bancaire de l’Afrique centrale, ndlr) dans ce cadre rentrent en droite de la lutte contre le blanchiment d’argent et l’enrichissement illicite. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre les mesures qui sont prises. Vous savez que la sous-région est en proie à des conflits. On ne sait pas qui finance Boko Haram. On ne sait pas comment les fonds leur parviennent pour leurs opérations d’achats d’armes…Il y a un besoin important de faire la lumière sur les flux de fonds entrants et sortants dans et de la sous-région».
Confiance et secret
Dans les milieux bancaires, la quiétude n’est pas restée imperturbée par toutes ces nouvelles. «Les motivations de ces nouvelles dispositions sont nobles», reconnait un cadre de banque. «Le problème, poursuit-il, c’est que notre activité est basée sur la liberté et la confiance, laquelle est garantie par l’absolue discrétion qui nous lie à nos clients. Ces derniers nous livrent toutes les informations que nous leur demandons parce qu’ils sont certains qu’elles ne seront pas divulguées. S’ils devaient perdre cette certitude du fait d’une réglementation agressive, les banques auraient beaucoup de difficultés à en obtenir des informations sincères et exhaustives. Ce qui mettrait en danger l’ensemble du système bancaire et même l’ensemble de l’économie».
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«Par rapport à la Lettre Circulaire de la Beac, une banque ne peut pas jouer à divulguer les informations qui lui sont données par ses clients car ces derniers n’attendent que ça pour créer et gagner des procès. Le secret bancaire désigne, dans son acception première, l’obligation qu’ont les banques de ne pas livrer des informations sur leurs clients à des tiers», commence Célestin Nkou Nkou, avant d’expliquer qu’ «au même titre que les professionnels de la santé, les banquiers sont tenus de respecter le secret professionnel. Ainsi, certaines informations relatives à leurs clients doivent rester confidentielles. Le secret bancaire, qui existe depuis 1984, protège donc les titulaires d’un compte. Effectivement, certaines données peuvent être compromettantes».
Cependant, le droit à la discrétion connaît des limites» reconnaît l’expert financier. Des limites objectives il est vrai, et notamment celle liée à la sécurité individuelle et collecte, laquelle peut cependant donner lieu à des abus de la part des autorités publiques.
« Quant aux dispositions réglementaires liées à l’import-export, je pense qu’il n’y a pas de secret bancaire dedans car toutes ces informations ne concernent ni le solde et les opérations spécifiquement bancaires. Ce sont les mêmes informations qui permettent à l’Etat d’évaluer combien les importateurs et les exportateurs doivent payer comme impôts, taxes et autres droits d’entrée et de sortie pour les marchandises tant importées qu’exportées. D’ailleurs, ce sont les clients mêmes qui sont tenus de les communiquer à la SGS au port ou à l’aéroport», assure Célestin Nkou Nkou.
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