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Sigipes II : plus de 13 milliards engloutis et toujours dans l’incertitude

A deux mois de l’échéance contractuelle pour la livraison du Système informatisé de gestion intégrée du personnel de l’Etat et de la solde de deuxième génération (juin 2023), l’incertitude plane sur la mise en service de ce dispositif. La conception et le développement de ce projet avait été confiée en juin 2021 à un binôme d’entreprises après l’échec d’un premier consortium recruté en 2014. Analyse suivie d'une interview accordée à EcoMatin par Hichem Mezghani, expert en ressources humaines au sein de l'entreprise tunisienne Simac.

Le communiqué du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative (Minfopra) à l’issue de la sixième session du Comité interministériel chargé de l’assistance du prestataire, du suivi et du contrôle du projet de mise en œuvre d’un nouveau Système informatisé de gestion intégrée des personnels de l’Etat et de la solde (Sigipes II), le 27 mars dernier, ne mentionne pas le taux d’avancement des travaux. A l’ouverture des travaux, pourtant, Joseph Lé, en sa qualité de président dudit comité, a assuré que le rapport d’exécution prévu pour être présenté au cours cette session s’appesantirait « sur les détails chiffrés, de telle manière qu’au sortir de ce conclave, chacun puisse, par lui-même, se faire une idée exacte du niveau réel d’avancement des travaux. Ce, d’autant plus qu’il y a eu beaucoup de glissements par rapport aux délais prescrits ».

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En fait de délais prescrits, le gouvernement avait confié en juin 2021 la réalisation du Sigipes II à un binôme d’entreprises : la société de l’information, de l’aménagement et de la communication (Simac) pour lot 1 consacré  au développement et à la mise en service des fonctionnalités de base de la nouvelle application et Afreetec pour le lot 2, dédié à l’assistance et la maîtrise d’ouvrage. Durée des travaux : 24 mois.

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Pour le développement et la mise en service des fonctionnalités de base de ce système, la tunisienne Simac devait empocher jusqu’à 4,890 milliards Fcfa. Le coût de la prestation d’Afreetec, lui, était chiffré à 955,8 millions Fcfa ; soit près de 6 milliards Fcfa pour les deux contrats qui ont fait suite à un premier marché conclu en 2014 entre l’État du Cameroun et le consortium Cameroun Audit Conseil-CBL Consulting, dont le contrat a été résilié en 2020, faute d’avoir pu respecter ses engagements contractuels. « Il est clairement apparu que les bases sur lesquelles reposait la première phase de ce projet d’envergure étaient particulièrement fragiles. Le choix du prestataire s’est avéré peu judicieux, puisque le consortium retenu s’est disloqué avant le début de la phase opérationnelle, et l’expertise dans le domaine requis de la partie restante était sujette à caution. Sa défaillance n’aura donc pas été une surprise (…) Le mauvais départ du Sigipes II était aussi dû aux manquements du cahier des charges (…) qui a cruellement souffert du déficit d’expertise et de vision de ses rédacteurs », avait dénoncé Joseph Lé lors de la première session du comité de suivi présidée par lui-même, le 28 juillet 2020.

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Livraison

A noter que le consortium Cameroun Audit Conseil-CBL Consulting, qui devait livrer l’application en 2016 selon le calendrier initial des travaux, a fait perdre jusqu’à 7,6 milliards Fcfa mis à disposition par l’Union européenne. L’enveloppe globale du projet se chiffre donc désormais à plus de 13 milliards de FCFA. Si le Simac rassure quant à l’avancement des travaux, notamment ceux liés à l’installation de la version initiale du nouveau Sigipes et l’adaptation et le paramétrage de la nouvelle application (voir interview ci-dessous), l’incertitude plane quant au respect des délais contractuels pour la livraison du projet, à savoir juin 2023.Fin 2021, le minfopra avait déjà annoncé la réception des premiers livrables en mars 2022; étape importante avant la réception du projet proprement dit en décembre de la même année. 

Hichem Mezghani: « Le management d’une manière générale, la résistance au changement posent toujours un problème»

Hichem Mezghani, directeur des ressources humaines de la Société de l’information, de l’aménagement et de la communication (Simac) ; coadjudicataire du projet avec Afreetech, revient sur l’état d’avancement des travaux, les difficultés rencontrées ainsi que les perspectives.

Hichem Mezghani, DRH de la Simac

Propos recueillis par Marius Zogo

Quelle évaluation faites-vous du projet Sigipes II près de deux ans après son lancement ?

Aujourd’hui était le Comité interministériel et l’objet était d’apprécier l’avancement des travaux du projet Sigipes II. Nous avons fait une présentation sur trois étapes. La première étape était de présenter le cycle de vie de l’agent public camerounais depuis le recrutement à l’intégration après toutes les étapes de sa carrière jusqu’à la retraite. Et ce qu’on a fait pendant cette séance c’est que, on a manipulé des données réelles, d’agents publics réels, les actes d’avancement de classe, la réédition de la solde, le calcul de la paie, l’édition des fiches de paie avant avancement et après avancement. Donc c’était l’occasion d’apprécier de prêt, les fonctionnalités offertes par le Sigipes. Aujourd’hui nous sommes à 150 000 agents publics camerounais dans l’ensemble de 600 000 agents.

La deuxième partie était consacrée au portail. Le portail c’est un outil à travers lequel, un agent public pourra accéder d’une part pour voir les différentes informations (fiches de paie qu’il peut imprimer, les informations personnelles…) et aussi il peut faire des demandes pour les mises à jour de son dossier. La troisième partie était consacrée à l’aspect stratégique de l’application. C’est l’aspect de la gestion des organisations des emplois et des compétences. Alors ici, on a vu les différents organigrammes, les différentes administrations camerounaises.

Vous savez qu’il y a 40 administrations camerounaises. Nous en avons pris 32, il reste 08 en cours d’harmonisation dans les administrations à statuts spéciaux. Et on a aussi des outils de gestion nouveaux tels que pour la première fois à la Fonction publique camerounaise, les fiches de poste, la gestion des compétences ; les fiches de titulaires de poste. Par ailleurs, l’avancement de la prestation Simac est évalué aujourd’hui à 67% depuis le début du projet jusqu’à aujourd’hui. Nous sommes en train de collaborer avec la partie camerounaise avec beaucoup d’harmonie que ce soit le régime général, aussi les statuts spéciaux.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans le cadre de la réalisation du projet Sigipes II ?

Comme chaque projet, il y a des difficultés. Vous savez qu’il s’agit d’un système d’information et pour chaque système d’information, il y a toujours une tendance humaine à être un peu résistant au changement. Si on est habitué à une pratique ou à une application ou par une méthode de travail, on a toujours du mal puisqu’on est confortable dans notre zone de confort. Donc le management d’une manière générale, la résistance au changement posent toujours un problème. Il y a aussi des problèmes de datas (de données). Il y a le challenge d’harmonisation des données entre les données B et les données carrières. On a même trois systèmes différents parce qu’il y a aussi l’application ‘’Cardo’’ et il y a les données non informatisées. Donc, il faut harmoniser, deux à trois sources d’informations qui parlent d’un langage différent. Autre challenge, c’est le volume du projet. On ne parle pas d’un seul régime qui est le régime général mais on parle aussi des statuts spéciaux. Vous avez la Dgsn, le Mindef, le Minjustice et le Minesup et chacun a ses règles de gestion, ses statuts. La gestion de la carrière ici est différente d’une administration à l’autre. Et pour que ce soit paramétré, ça demande beaucoup de travail, beaucoup d’engagements de plusieurs parties qui travaillent ensemble.

Concrètement, nous avons quelques challenges surtout avec l’équipe de préparation des données de reprise ; d’harmoniser les données des agents publics entre le Sigipes d’une part et ‘’Antilope’’. Sigipes c’est un outil informatique qui gère les agents publics, la carrière, etc. et Antilope c’est un autre système qui gère les données entre les deux applications. Donc il y a un travail d’harmonisation à faire afin d’aboutir à une application qui gère à la fois la carrière, la solde et tous les aspects gestion des ressources humaines de l’Etat du Cameroun.

A quand la livraison du projet ?

En effet, le projet était prévu être fini au mois d’octobre 2023 sauf qu’il y a eu quelques retards sur plusieurs aspects de ce projets qui vont faire qu’il va encore s’étendre jusqu’à la fin 2023 et on va peut-être consommer quelques mois de l’an 2024. C’est notre estimation.

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