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SND30 : les conditions de réussite selon Joseph Désiré Okala Edoa

L’enseignant-chercheur préconise l’encrage sur l’intelligence économique stratégique, l’économie du savoir, la compétitivité et la rentabilité des entités publiques pour une transformation structurelle de l’économie.

Un examen des conditions de réussite de la Stratégie Nationale de Développement 2020-2030 peut être élaboré sous plusieurs prismes en fonction des piliers retenus par les concepteurs de ladite stratégie. Nous proposons dans cet article quelques pistes pouvant conduire efficacement et salutairement à une transformation structurelle de l’économie, au développement du capital humain et du bien-être, et à la bonne gouvernance économique et financière intégrant la création d’emplois nouveaux et décents.

1-      La transformation structurelle de l’économie camerounaise ou la nécessité du passage d’une économie résiliente à une économie puissante : quelle place pour l’intelligence économique stratégique ?

L’un des points forts de l’économie camerounaise a toujours été sa résilience. Sa capacité à absorber les chocs causés surtout par les mutations conjoncturelles et structurelles de l’environnement politique, économique, et technologique international. Il s’agit particulièrement des mutations causées par les fluctuations des prix des matières premières et la perturbation des circuits d’importation des biens manufacturés, engendrée notamment par les crises financières (subprimes mortgage crisis de 2007 aux USA, crise asiatique de 1997, etc.) et les crises sanitaires (Covid-19).

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La transformation structurelle de l’économie camerounaise est tributaire de la représentation idéologique et nationaliste que se font les principaux acteurs institutionnels, les entreprises publiques et les entrepreneurs privés nationaux. En effet, l’idée du « made in Cameroon » devrait être avant toute chose une préoccupation nationale de premier ordre. Des incitations fiscales plus accentuées, avec des facilités particulières accordées aux entreprises qui transforment localement les matières premières en créant de la valeur ajoutée, pourraient être un moyen supplémentaire de promotion du « made in Cameroon ». Pour ce faire, un système national d’intelligence économique stratégique est plus que nécessaire. Ce système demande à être formellement constitué et institutionnalisé si l’on tient compte du délai relativement court de la durée de la SND30 qui n’est que de… 10 ans. Il n’est pas nécessaire de créer une nouvelle structure budgétivore, mais plutôt de conglomérer des entités éparses existantes, dont des missions parcellaires certes reconnues par l’intelligence économique stratégique sont malheureusement inopérantes ou inefficaces en l’état actuel des choses.

L’intelligence économique est un domaine des sciences économiques et de gestion consistant en la recherche, la collecte des données et la gestion efficace et efficiente de l’information stratégique aux fins de positionnement et de rentabilité économiques ; Domaine qui se nourrit d’autres sciences. Elle s’entend de toutes activités formelles et informelles utilisées par un État, un groupe d’États, une entreprise ou un individu ayant pour buts de veiller sur les concurrents (cas de la veille technologique ou diplomatique), d’acquérir des données et des informations à caractère stratégique, de protéger ces données et informations, de les traiter, d’user du soft power et du lobbying stratégique (institutionnel) afin de créer des procédés et processus innovants permettant d’être compétitif sur les plans national et international. Les acteurs du système d’intelligence économique seront ainsi recrutés parmi les experts et spécialistes dans des domaines variées (services de renseignement divers, forces armées ou de défense, policiers, ingénieurs, diplomates, universitaires, chercheurs, étudiants, sportifs, artistes, politiciens, etc.).

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2-      Développement du capital humain et du bien-être : faire de l’économie du savoir un levier d’amélioration du bien-être.

L’économie du savoir a pour quasi-synonymes l’économie de la connaissance, l’économie de l’immatériel ou encore le capital cognitif. Ces expressions désignent une nouvelle ère de l’histoire économique contemporaine dans laquelle le monde est entré après la chute du mur de Berlin.

Le développement du capital humain dans l’esprit de la SND30 renvoie dans une certaine mesure à la problématique de professionnalisation. Si en 10 ans, de 2020 à 2030, il est quasiment impossible de susciter une génération nouvelle de travailleurs « professionnalisés » du fait de la temporalité relativement réduite de la SND30, il est tout de même possible que par un audit (aux finalités stratégiquement définies) des ressources humaines dans chaque entité, des renforcements de capacité soient menés auprès des travailleurs au cours de la première année de mise en œuvre de la stratégie. Ainsi, chaque fonctionnaire, travailleur du secteur public, parapublic et privé au Cameroun pourra désormais disposer de : un Capital Humain (know-what) qui se compose essentiellement des formations théoriques acquises pendant le cursus académique, auquel s’ajoutent celles acquises dans le milieu professionnel ; un Capital Relationnel (know-who) qui se constitue de la capacité pour chaque travailleur à développer un réseau (network) relationnel lui permettant d’améliorer en permanence sa productivité (exemple du nombre de dossiers traités par un fonctionnaire pendant une période donnée de temps) ; un Capital Organisationnel (know-how) ou savoir-faire. C’est la capacité à pouvoir transformer des « données » reçues (considérées comme matières premières) en produits finis (création de la valeur) dans le processus de « gestion des dossiers » (pour les fonctionnaires et administrateurs des fonctions supports en entreprises publiques et privées) et de mise en œuvre effective des biens et services (pour les ingénieurs et spécialistes des sciences exactes) sur le marché.

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3-      Gouvernance économique et financière et création d’emplois : la compétitivité et la rentabilité comme préoccupations majeures des entités publiques en général et de la Société Nationale d’Investissement (SNI) en particulier.

Un taux de croissance projeté de 8,1% en moyenne entre 2020 et 2030, selon la SND30, ne peut être possible que si les productions de toutes les entreprises (privées et publiques) connaissent des investissements supplémentaires, toutes choses restant égales par ailleurs. Or, c’est le secteur privé qui fournit la plus grande partie (77% environ selon l’Annuaire Statistique du Cameroun, édition 2017) du Produit Intérieur Brut hors secteur pétrolier. Il faudrait donc que la SNI initie une stratégie innovante qui boostera le niveau des investissements dans les secteurs privé et public. Grâce à un lobbying institutionnel nouveau, l’entrée à la Bourse des Valeurs Mobilières de l’Afrique Centrale et bien d’autres places financières internationales, la SNI est, sur le plan gouvernemental, l’entité par excellence attendue sur le terrain de la mise en œuvre de la SND30 en matière d’augmentation des investissements des entreprises des secteurs publics et surtout privés. C’est la nécessité d’un dynamisme opérationnel nouveau en matière d’ingénierie financière.

La SNI devrait détenir une part du capital de chaque entreprise publique, chaque PME, chaque PMI et chaque grande entreprise privée au Cameroun. Ce dynamisme opérationnel, impulsé par une meilleure ingénierie financière lui permettra ainsi de créer ou de participer à la création d’emplois par milliers par an, voire plus, dans la mesure où, d’une part, toutes les entreprises qui bénéficient de l’acquisition d’actions ou de prises de participations par la SNI seront tenues de mettre sur pied des procédures de contrôle interne plus saines et respectant les canons déontologiques des sciences de gestion ; d’autre part, les fonds investis dans toutes ces entreprises leur permettraient de financer de nouveaux projets et l’innovation, puisque l’obligation de compétitivité et de rentabilité serait pour ces entreprises une conditionnalité contractuelle garantissant la rémunération à juste titre du capital investi par la SNI.

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Au demeurant, notre économie devrait faire de l’ingénierie financière (capital intellectuel ou immatériel) une bien meilleure force. L’économie qui repose sur les prix des produits de base (capital matériel) tels que le pétrole, le cacao, le coton, etc. est trop dépendante du niveau des prix fixés par les marchés occidentaux et asiatiques. C’est une voie salutaire pour passer en 10 ans de l’étape d’économie résiliente à celle que nous désignons par « économie puissante ».

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