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Suspension du processus de concession au PAD: un coup dur pour l’attractivité de l’économie nationale

La décision du président de la République de suspendre la finalisation du contrat de concession du terminal à conteneurs de la capitale économique avec l’opérateur italo-suisse TIL au profit de Bolloré, est de nature à décourager les investisseurs des autres pays étrangers à venir au Cameroun.

Pour gérer le terminal à conteurs du Port en eau profonde de Kribi, le comité de pilotage et de suivi de la réalisation de ce complexe industrialo-portuaire avait retenu pour la phase ultime d’examen des offres, la filiale portuaire du groupe danois AP Moller Maersk (APMM), APM Terminals, et le philippin International Container Terminal Services (ICTSI). Mais contre toute attente, début septembre 2015, le président de la République avait sorti du chapeau le consortium composé des français Bolloré et CMA CGM et de China Harbour Enginering Company (CHEC), dont l’offre jugée économiquement peu viable avait, plusieurs mois avant, été écartée. L’intervention de Paul Biya dans ce dossier était arrivée deux mois seulement après la visite au Cameroun, dans la nuit du 03 juillet 2015, de l’ex-président français François Hollande. Il venait ainsi de mettre fin à une longue période d’ « isolement » de Yaoundé par l’Hexagone. En effet, aucun président français n’était plus venait au Cameroun depuis la dernière visite de Jacques Chirac, en janvier 2001. Cette situation commençait à être perçue par beaucoup dans le sérail et en dehors comme un lâchage.


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Et pour ramener Paris à de meilleurs sentiments, Paul Biya avait décidé de sevrer la France et certaines de ses entreprises de contrats juteux, au profit d’autres pays à l’instar de la Chine, entre autres partenaires. C’est une carte qui semble plutôt bien marcher. Elu président de la France en mai 2017, Emmanuel Macron qui a déjà effectué plusieurs voyages en Afrique évite subtilement le Cameroun, ce, pendant qu’il exerce une pression douce sur Yaoundé pour la résolution de la crise anglophone pour plus d’ouverture politique. Il n’en fallait pas plus à Paul Biya, qui a toujours de la suite dans les idées, pour qu’il se mette à agiter la menace de retrait de la concession du terminal à conteneurs du Port autonome de Douala (Pad) à Douala International Terminal (DIT), filiale du groupe Bolloré dont le contrat arrive à expiration dans deux mois, soit en décembre 2019.

Arbitrage 

En janvier 2018, il fera lancer par les autorités portuaires, le processus de présélection du nouvel opérateur. Après plusieurs reports dus aux nombreuses procédures engagées par Bolloré pour contester sa non-sélection, l’autorité portuaire annonce, début septembre, que la concession reviendra désormais à l’opérateur italo-suisse  Terminal Investment Limited SA (TIL).


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Le groupe français qui est prêt à tout pour arracher le renouvellement de son contrat obtient du tribunal administratif de Douala la suspension du processus d’attribution de la concession. Dopées par une correspondance du ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh, dans laquelle, il leur répercute, le 31 juillet, l’ordre du chef de l’Etat d’accélérer le processus de recrutement du nouveau gestionnaire du terminal, les responsables du Port autonome de Douala (Pad), l’entreprise publique qui gère la plateforme portuaire, assurent que le processus enclenché est irréversible. Depuis le 12 septembre, Cyrille Bolloré qui a succédé à son père Vincent Bolloré à la présidence du groupe éponyme depuis mars 2019, avait saisi personnellement Paul Biya pour arbitrage dans ce dossier.

Souveraineté

Parallèlement, le groupe mobilisait ses réseaux politiques français au plus haut niveau. Et, sans grande surprise  sauf pour les naïfs , son soft power a encore payé. Le 10 octobre dernier à Lyon, alors que Paul Biya prenait part, à l’invitation d’Emmanuel Macron à la conférence de reconstitution du Fonds mondial de lutte contre le Sida, la tuberculose et le paludisme, il a eu son premier tête-à-tête avec le jeune président français. Preuve qu’en dehors des questions sécuritaires et de coopération, le dossier du terminal à conteneurs de Douala a été abondamment discuté entre les deux chefs d’Etat, le 23 octobre, Paul Biya a ordonné via son secrétaire général, la suspension des travaux de finalisation des termes du contrat de concession avec l’adjudicataire provisoire, qui devait entrer en activité dès le 1er janvier 2020.


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Cette décision qui, de manière voilée, annule l’ensemble du processus ayant conduit à l’attribution du contrat de concession du terminal à conteneurs du Port autonome de Douala à un nouvel opérateur, et qui constitue un renouvellement de fait du contrat de Bolloré sur la plateforme portuaire de la capitale économique a provoqué une onde choc au-delà du Cameroun. Non seulement, le président de la République a fait obstruction à la justice qui n’avait définitivement tranché sur cette question, il vient de livrer la tête du directeur général du Pad, Cyrus Ngo’o, à Bolloré qui ne pardonnera certainement pas son audace. Au-delà, l’intervention présidentielle, qui arrive alors que le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian se trouvait sur le territoire camerounais et a même eu une audience avec Paul Biya au palais de l’Unité, pour beaucoup, remet fortement en cause la souveraineté du Cameroun.

Plan de développement

Il s’agirait pour eux de l’acte d’allégeance de trop de Paul Biya à la France, et qui est un mauvais signal pour les investisseurs des autres pays étrangers. On ne peut pas en même temps se vanter de ce que le climat des affaires s’améliore dans le pays, appeler les investisseurs étrangers à venir investir et en rabrouer d’autres sans cérémonie comme ce qui est en train de se produire avec ces opérateurs italo-suisses. Les critères ayant présidé au recrutement de TIL au détriment de DIT, basés sur son offre économiquement plus rentable pour l’Etat du Cameroun, étaient clairs : le déblocage de 24,5 milliards Fcfa représentant le ticket d’entrée (contre 800 millions Fcfa pour Bolloré) ; le paiement d’une redevance fixe annuelle de 9,2 milliards Fcfa et le reversement de 8% de son chiffre d’affaires à l’Etat entre la première et la cinquième année de la concession. Cette cagnotte devait passer à 12% entre la sixième et la 10e année, puis à 32% à partir de la 11e. TIL a par ailleurs présenté aux autorités camerounaises un plan d’investissement de 153 milliards Fcfa sur 15 ans, en plus de l’acquisition de quatre portiques de quai et 20 autres de parc neufs. Selon ses prévisions, les dividendes générés par TIL en 15 ans devaient atteindre 163 milliards Fcfa.  Ce qui correspond bien au plan d’extension et de développement du Pad.

 

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