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Trafic humain : enquête sur l’exploitation des indiens au Cameroun (1/3)

Des pratiques managériales aux montages financiers autour de leurs entreprises...EcoMatin a investigué sur les dessous des business des hommes d’affaires indiens au Cameroun. En ligne de mire, Avinash Hingorani, un prospère entrepreneur réputé dans les milieux de la haute société de la capitale Yaoundé qui illustre le trafic qui couve sous les activités de certains membres de cette communauté. Une enquête qui a débouché sur des révélations exclusives que nous vous livrons dans une série de trois épisodes. Premier volet.

Son nom n’évoque certainement pas grand-chose pour la plupart des citoyens camerounais. Parlons de Sammys Créations, une maison de couture située au quartier Bastos ou de Rêves voyages, une agence de voyage agrée par le ministère du tourisme, et quelques indications viendront probablement dans la tête de certains. C’est en effet à travers ces deux entreprises que l’opérateur économique indien Avinash Hingorani, 65 ans, a pris pied au Cameroun depuis un peu plus de 10 ans.Sammys Créations qui a ouvert ses portes en 2010 est aujourd’hui l’une des principales adresses de la ville en matière de confection de costume sur mesure. L’homme d’affaires qui importe la matière première depuis la chine où se trouvent ses ateliers, facture la pièce à 300.000 francs Cfa en moyenne. Un business florissant qui crédite son propriétaire de près de 30 millions de chiffre d’affaires mensuel selon des documents consultés par la rédaction.

Fort du succès de Sammys Creations, Avinash Hingorani a entrepris quelques années après de diversifier ses activités en se lançant dans la vente de billets d’avion et d’autres services de voyage. Ici encore, la formule est payante. L’enseigne Rêves voyages qui soutient cette activité est aujourd’hui sollicitée par de nombreuses administrations publiques. Son portefeuille client comprend notamment le ministère des mines, de l’industrie et du développement technologique (Minmidt), ou encore le comité local d’Organisation de la CAN (COCAN). En 2019, le chiffre d’affaires annuel de la compagnie culminait à près de 800 millions de francs CFA selon nos informations.

Haut-commissariat d’Inde au Cameroun

Success story à l’orientale pour le natif de Mumbaï, parti de son pays en 2005 pour travailler comme contremaitre pour un de ses compatriotes, avant de se lancer à son propre compte. Parties du Cameroun, ses entreprises sont aujourd’hui représentée dans 5 autres pays africains : Gabon, Congo, Côte-D’ivoire, Burkina Faso et Sénégal. Sauf que c’est ici que s’arrête la beauté du tableau. L’envers du décor présente une autre face, plutôt sombre, des activités de l’homme d’affaires indien dans le pays d’accueil de ses entreprises. Selon des témoignages recueillis par EcoMatin auprès des sources concordantes, Avinash Hingorani serait en effet à la tête d’un vaste réseau mêlant exploitation abusive de ses employés (indiens), actes de tortures psychologique et physique, ainsi que des manœuvres d’intimidation. A ces curiosités managériales s’ajoutent des pratiques fiscales douteuses qui font de cet homme d’affaires l’un des plus obscurs de la communauté indienne installée au Cameroun. Des méthodes dignes d’un autre siècle rapportées dans une série de courriers – et autant de plaintes – rédigés par des personnes ayant été abusées par l’entrepreneur. Elles sont adressées au Haut-commissariat d’Inde au Cameroun, dans le but de dénoncer les dossiers secrets de celui qu’on appelle « Maalik » (patron en hindi).

A chaque fois, le principe est le même. Avinash Hingorani recrute son personnel dans les populaires villes de l’Inde, leur promettant un contrat à durée déterminé (CDD) de deux ans minimum avec un salaire de base de 25.000 roupies (185 000 francs cfa). Le modèle de contrat dont Ecomatin a obtenu copie, stipule que l’entreprise s’occupe du transport, du logement, de l’alimentation des employés : des avantages non déductibles de leurs salaires qui leur sont reversés dans leur compte en Inde.

Témoignages bouleversants

Mais une fois au Cameroun, la réalité est toute autre. Avinash Hingorani confisque systématiquement les passeports de ses employés, impose des retenues non contractuelles sur les salaires, et n’hésite pas à priver ses employés de nourriture ou à les exclure de ses logements afin de les intimider. Dans une des plaintes, un employé d’Avinash Hingorani affirme n’avoir été payé que pendant trois des 16 derniers mois qu’il a passé au Cameroun à travailler. « Lorsque j’ai voulu revendiquer mon dû, il a commencé à m’intimider (…) Plusieurs fois j’ai dormi sur les escaliers sans manger. Face à mon entêtement, ils ont fait un montage vidéo avec mes images et celle d’une fille nue et ont menacé de publier cela sur la toile », rapporte-t-il.

« Lorsque je suis arrivé au Cameroun après avoir signé mon contrat, j’ai été informé par M Avinash que chaque faute que je commettrai entrainerait une déduction de 500 roupies indiennes (environ 5000 fcfa) de mon salaire, relate un autre. J’ai appelé ma famille pour lui parler de la situation. Le lendemain, tous mes téléphones ont été confisqués et j’ai été mis à la porte sans aucun papier » ajoute-t-il, affirmant avoir dû payer une rançon pour pouvoir récupérer son passeport.

De l’avis de Mathieu Njocke, spécialiste du code du travail camerounais, les pratiques de l’entrepreneur Avinash Hingorani violent plusieurs articles du code du travail camerounais, et sont de natures à entrainer de nombreuses sanctions pénales contre lui. « Déjà l’article 30, alinéa 1 du code du travail interdit à l’employeur d’infliger des amendes. L’alinéa 2 ajoute que la seule sanction fondée sur le pouvoir disciplinaire de l’employeur qui puisse entraîner la privation de salaire est celle de la mise à pied qui entraîne l’absence de prestation de travail », indique-t-il.

Interrogé sur les contrats brandis par les employés de l’homme d’affaires, notre spécialiste accable d’avantage Avinash Hingorani. « Il est évident que ces contrats n’ont pas été déclarés au ministère du travail comme le prévoit les textes. Cet homme ne paye clairement aucune taxe au fisc Camerounais sur les salaires de ses employés, encore moins la taxe sur les revenus (TSR) établie à 5% du salaire et qui est prélevée à la source lorsque les salaires des employés sont reversés à l’étranger ».

Des hauts cadres de la police et de la justice indexés

Assailli de dénonciation, le haut-commissariat de l’Inde au Cameroun a convoqué Avinash Hingorani le 17 mai dernier, afin de s’expliquer sur la dizaine de plaintes reçues entre mars et mai 2021. L’homme d’affaires qui se tague d’entretenir des relations privilégiées avec des hauts cadres de la police et de la justice camerounaise, n’a pas cru devoir répondre à la sollicitation du diplomate indien. Avinash Hingorani a réservé le même sort aux sollicitations d’EcoMatin, qu’il a bloqué de tous les réseaux sociaux après avoir dans un premier temps manifesté sa volonté de faire la lumière sur l’ensemble des zones d’ombres soulevées par ses employés. Lors d’un entretien avec ses représentants à Yaoundé, l’homme d’affaires avait contesté les allégations proférées par ses anciens employés, promettant de fournir à la rédaction d’EcoMatin des éléments étayant ses déclarations. Jusqu’à la mise sous presse de cet article, lesdits documents étaient toujours attendus.

Dans le même temps, la rédaction a eu vent de menaces et d’insultes proférés par celui-ci à ses employés et ex-employés qu’il soupçonne d’avoir livré des informations au journal. Une attitude qui corrobore avec la réputation de maitre-chanteur qu’il traine. Le refus de collaborer d’Avinash Hingorani n’a évidemment aucun effet sur la volonté de votre journal de faire la lumière autour du flou qui entoure les montages financiers de cet entrepreneur, en complicité avec des hauts cadres de l’administration camerounaise. Lesquels feront l’objet du second volet de cette série sur le «trafic des travailleurs indiens au Cameroun»

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