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L’eurobond, le jour d’après !

Yannick Achille Fogne est un ingénieur financier camerounais, auteur de « Fondement du capitalisme africain et réforme monétaire » ; dans cette tribune, il dresse les scénarii de relance économique pour le Cameroun à l’aune du refinancement de l'eurobond, que le pays vient de boucler avec succès.

Le Cameroun vient de boucler avec un succès éclatant son opération de refinancement de son Eurobond émis en 2015 et dont le remboursement devait s’étendre de 2023 à 2025.

Même si pour certains l’opération était plutôt un acquis au regard des performances des autres pays africains comme la côte d’ivoire avec 1 milliards d’euros en novembre 2020 et 850 millions d’euros en février dernier ; ou le bénin avec 1 milliards d’euros en janvier 2021, il faut convoquer l’histoire pour donner tout le mérite qui revient au gouvernement à travers son ministre des Finances pour avoir conduit cette opération d’une main de maître.

En effet, nous sommes en 2015 quand le gouvernement du Cameroun sollicite le marché pour un Eurobond de 1.5 milliards de dollars (750 milliards de FCFA), mais cette opération va se solder par un quasi-échec et il ne va repartir qu’avec 450 milliards à 9.5% et pour 10 ans, soit un taux de couverture de 60%. Dans le même temps, le 24 février 2015, la Côte d’ivoire obtenait 1 milliards de dollars pour une maturité de 12 ans sur le même marché international, avec un taux de couverture de la demande de 400%.

Rendus en 2021, le Cameroun a rattrapé son retard par rapport aux pays comparables avec le succès de cette opération et c’est tout en son honneur. C’est autant un succès politique qu’économique, car ça aurait été un boulet au pied si le gouvernement devait arriver aux élections 2025 en traînant des impayés sur le marché international, car étant sous ajustement structurel et bouclant les budgets avec l’appui du FMI depuis quelques années on peut clairement penser qu’il ne devait pas avoir les ressources pour solder la dette.

Outre mesure le Cameroun pouvait se faire manger à la sauce Grecque, avec des taux supérieurs à 15%, au regard des 9.5% de 2015 que le pays avait obtenu dans un contexte pourtant favorisé par de meilleures perspectives économiques (stabilité sociale et politique, faible taux d’endettement, projets structurants en cours, etc.).

Cependant, l’opération étant bouclée, vient le jour d’après !

Le jour d’après c’est le jour où le Cameroun dans la perspective de la relance économique doit commencer à ne plus être orpheline des choses qu’il possède pourtant, notamment sa ressource humaine et son système monétaire et financier. La relance post covid est l’opportunité pour confier les instruments de financement de la production comme la SNI à une équipe d’ingénieurs financiers camerounais dûment expérimentés, qu’on trouve partout dans les plus grands cabinets, banques et fonds d’investissements au monde, y compris aux postes de directeurs comme chez JP Morgan.

Le jour d’après c’est également l’opportunité de créer un fonds souverain avec une partie des ressources de la CNPS, SNH ou encore SCDP comme on en trouve partout ailleurs dans les pays producteurs de matières premières. Après toutes ces décennies de collaboration, c’est un manquement majeur de ne pas être au conseil d’administration des entreprises de la chaîne de valeur de nos matières premières, car c’est là-bas que pratiquement 90% de la valeur ajoutée est créée. Au plus fort de la crise du Covid 2020 les prix du pétrole sont devenus négatifs, mais à la pompe il n’y a pas eu une baisse significative, car le prix de la matière première est la variable d’ajustement dans les chaînes de valeur. Ne pas monter en capital dans ces chaînes de valeur c’est se résigner à subir fatalement tous les ajustements. C’est cette montée en capital dans les chaînes de valeur qui aurait pu multiplier par 3 ou 4 nos revenus de matière première à ce jour et nous prémunir contre les crises comme celle de 2015. C’est aussi à cela que servirait un fonds souverain le jour d’après, s’il advient.

Au jour d’après il faut également répondre à la demande de réformes monétaire formulée par la France en 2019 à travers son Ministre Bruno Le Maire, réformes qui doivent entre autres équiper la BEAC avec les instruments de refinancement des investissements, notamment des refinancements au-delà de 5 ans pour permettre aux banques d’alléger leur bilan pour financer la relance économique par la production. La réforme monétaire est également l’opportunité de construire un système financier qui va réduire le coût du risque pour permettre aux investisseurs d’avoir les ressources aux coûts abordables pour créer la richesse.

Le jour d’après c’est aussi l’accès aux doléances des corporations camerounaises sur les questions juridiques et foncières, en l’occurrence la mise sur pied d’une cour spécialisée dans le commerce. Toute l’économie et la finance ne sont faites que de contrats et de conventions, les instruments juridiques adéquats sont le socle même de tout projet de développement.

Au jour d’après il faut se donner les moyens de sortir du programme d’ajustement structurel du FMI, indispensable pour se mettre sur la route du développement. Ce programme est destiné aux Etats qui peuvent avoir du mal à s’assumer, ce qui est paradoxal au regard de toutes les ressources disponibles pour créer la richesse et non utilisées.

A l’occasion de la crise du Covid les Etats africains étaient les seuls à se retrouver en occident et en Asie pour demander l’annulation des dettes ou la suspension des paiements, ce qu’on n’a pas vu en Amérique latine ou en Asie. Si certains problèmes n’arrivent qu’aux mêmes, c’est qu’à la fin ils font partie du problème, et c’est une bonne nouvelle parce que la solution viendra également d’eux-mêmes et de nulle part ailleurs. Les crises arrivent de façon cyclique, au minimum une crise majeure tous les 10 ans depuis au moins 60 ans. (Crise du pétrole 1971 et 1980, choc des actions 1987, immobilier 1993, monnaies 1997, crise des technologies 2001, crise des subprimes 2008, crise des matières premières 2015, crise du Covid 2020). Selon l’indice Warren Buffet qui est un indice présageant les crises en rapportant la capitalisation boursière sur les principaux marchés au PIB, une crise est sérieusement envisagée dans les prochaines années, car l’indice était à 140 en 2020, largement au-dessus du seuil de sensibilité de 100. Ceci signifie donc que les programmes de développement portant sur 10 ans ou plus doivent impérativement être ‘stressés’ avec des scénarios de crise dans le modèle économétrique. Le jour d’après c’est un jour où on est paré pour les crises cycliques.

Le jour d’après c’est le jour où on enclenche les mécanismes qui vont ralentir la lente et certaine montée vers les plafonds de la dette, après quoi c’est l’inconnu. Nouvelle dévaluation

? Privatisations ? Baisse des salaires ? Réduction des effectifs dans l’administration ? Mise sous tutelle des Etats ? Réquisition des actifs publics ?

Quoi qu’il en soit, s’il n’y a pas un jour d’après il y aura un jour d’avant, dont les travailleurs des années 90 en ont bien la douloureuse conscience dans l’âme.

Il est impératif de sortir des cycles vicieux qu’on répète depuis les indépendances, et le marché nous donne l’opportunité de financer ces changements, qui mènent au jour d’après.

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