Décryptage et Analyse

500 000 emplois: des chiffres interrogateurs alors que le sous-emploi gagne du terrain

Dans les rues, marchés, carrefours et trottoirs plusieurs jeunes, diplômés pour la plupart, se livrent au petit commerce parfois informel, pour survivre au quotidien.

Patrick Bilong, agé de 27 ans est « call-boxeur » au quartier Melen depuis près de trois ans déjà. Sur son tabouret en bois placé au-dessous d’un parasol qui lui sert de kiosque, il exerce quotidiennement son activité près d’un centre de santé de la place. Une activité qui ne lui garantit pas un confort total, mais au moins lui permet de satisfaire quelques besoins essentiels : « Je ne gagne pas grand-chose mais je gère le peu que ça me donne. Dans la mesure où j’ai quitté la maison familiale et je suis allé en location grâce au call-box, je peux dire que je m’en sors. Mais s’il faut regarder le fait que je puisse bâtir un futur, avoir une maison propre à moi, des enfants, je dirai non parce que c’est trop minable pour réaliser cela ». Titulaire d’une licence puis d’un master 2 en droit public obtenus à l’université de Yaoundé II-Soa, Patrick a beau faire des concours en vue d’un recrutement à la fonction publique, déposer des demandes de recrutement dans des structures aussi bien publiques que privées, mais aucun ne lui a souri jusqu’à présent.


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Comme lui, Roland Abomo, gagne son pain dans la vente de chaussures pour femme tous les matins au marché du Rond-point express, avant de se rendre à l’Institut supérieur Siantou de Yaoundé pour poursuivre sa formation en Communication d’entreprises. En effet, depuis l’obtention de son baccalauréat A4 en 2013 puis sa licence en sociologie à l’université de Yaoundé I, Roland s’est rendu compte de ce qu’il n’avait « concrètement aucun savoir-faire » qui puisse lui permettre de trouver un emploi générateur de revenus dans son domaine d’activité. Raison pour laquelle il a opté pour une autre formation, cette fois « professionnelle et répondant aux exigences actuelles du marché de l’emploi ».

Des chiffres qui semblent incroyables et loin de la réalité, au regard du taux de chômage remarquable, estimé à 27% en 2016, et du taux de sous-emploi particulièrement élevé (plus de 70%) au Cameroun

Comme eux, plusieurs autres camerounais sont dans la même situation : vendeurs de chaussures, de vêtements, de matériels électroniques, de denrées alimentaires, et autres produits de première nécessité, on les retrouve dans presque toutes les artères des quartiers et villes. Interrogés, la plupart met en cause le chômage après leurs études académiques. En effet, si certains peuvent être qualifiés de sous scolarisés, d’autres en revanche n’ont juste pas les profils requis par les employeurs de certaines structures. Une situation qui pousse les plus chanceux à se réorienter vers de nouveaux secteurs et qui suscite en même temps des interrogations quant aux types d’emplois que l’Etat dit et projette créer chaque année, notamment les 500 000 emplois annoncés pour l’année 2019.


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Rappelons que le taux de chômage est de 27% en 2016. Et qu’en milieu urbain, il est plus élevé chez les personnes ayant suivi un cursus académique général que ceux ayant suivi un cursus technique ou professionnel selon des statistiques du ministère de l’emploi et de la formation professionnelle publiées en 2016. Le sous-emploi, de plus en plus grandissant, est quant à lui est évalué à 75,8% selon la même institution.

Curiosité sur les 500 000 emplois de Paul Biya

Dans son adresse à la jeunesse de son pays au soir du 10 février, veille de la fête consacrée à cette tranche de la population en effet, Paul Biya a annoncé avoir créé plus de 500 000 emplois pour la seule année 2018. Le président de la République indique ces emplois proviennent des « projets agricoles, routiers et infrastructurels, ainsi que des travaux menés par les collectivités territoriales décentralisées ». Le chef de l’Etat table encore sur au moins 500 000 emplois pour l’année 2019 en cours. Des chiffres qui semblent incroyables et loin de la réalité, au regard du taux de chômage remarquable, estimé à 27% en 2016, et du taux de sous-emploi particulièrement élevé (plus de 70%) au Cameroun. Pour les autorités en charge de l’Emploi et de la formation professionnelle pourtant, ces chiffres sont plutôt modestes, vu le processus de comptage qui ignore une bonne part d’emplois créés. A l’instar des emplois indirects que génère l’exécution d’un marché public, et les sous-traitants d’entreprises de téléphonie mobile, expliquent les services du ministère de l’Emploi et de la formation professionnelle (Minefop). Les activités de revendeurs de crédit de communication et de mototaxis ne font pas partie des 500 000 emplois annoncés par les autorités, même s’ils constituent des emplois, tel que définis par le Bureau international du travail (BIT).


Comment se fait le comptage des emplois
Selon le responsable de la cellule de communication du Minefop, le comptage des emplois créés se fait grâce notamment aux formulaires de collecte et rapports transmis au niveau central par les délégués régionaux, des contrats d’embauche mis à leur disposition, ainsi que des chiffres de l’observatoire national de l’emploi. S’il ne revient pas au Minefop de créer les emplois en question, l’institution se charge de mettre en place un réseau pour assurer la collecte des informations y afférentes. Chaque entreprise qui recrute a donc obligation d’informer le Minefop, autorité en charge de la régulation de la main d’œuvre au Cameroun. D’après le responsable du Minefop, il faut prendre en compte le nombre d’entreprises au Cameroun (2000 grandes entreprises selon l’Institut national de la statistique), ainsi que les petites entreprises créées au niveau du ministère des Petites et moyennes entreprises, notamment dans les Centres de formalité et de création d’entreprises (Cfce). « Chaque entreprise créée équivaut à au moins un emploi créé », explique le responsable du Minefop.

Les sources de données du ministère de l’Emploi et de la formation professionnelle (Minefop) affichent un total de 506 025 emplois créés au 31 décembre 2018 par le « secteur moderne » de l’économie. 231 139 emplois dans les 10 régions ; les institutions du secteur de l’emploi (FNE et Piaasi) totalisent 43 035 emplois nouveaux. 89 739 emplois dans les administrations publiques ; les autres entreprises et administrations privées telles que Peace Corps, Addax Petroleum, Crédit Foncier … ont généré 3 171 emplois ; alors que les projets et programmes sous tutelle du ministère de l’Agriculture et du développement rural (Minader) ont produit 755 emplois ; les projets de la CAN ont quant à eux généré au 30 juin 2018, 4 458 emplois directs ; le projet d’appui à la résilience socioéconomique affiche 2 500 jeunes insérés ; tandis que le projet Parse compte 280 jeunes. Calculette en main, l’addition de ces chiffres donne un total de 375 077 emplois créés, bien en deçà des 500 000 annoncés par les autorités.

 


Le sous-emploi domine les chiffres

En scrutant de près les chiffres du ministère de l’Emploi, l’on se rend bien compte qu’une bonne part d’emplois générés se recrute dans le sous-emploi. Les statistiques du Minefop prend notamment en compte les occupations de jeunes par les collectivités territoriales décentralisées comme celle de Douala qui a recruté 2 150 jeunes, le projet Himo (777 emplois) et les filets sociaux (3 000 jeunes bénéficiaires) dans la région du Nord, tout comme les projets de la CAN qui ont permis de générer 4 458 emplois. Ces emplois occupent les jeunes pendant une période déterminée, et la rémunération n’est parfois pas garantie. Le temps pour ces derniers de se retrouver à nouveau au chômage.

 

 

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