A la UneDécryptage et AnalyseEnquête
A la Une

Cryptomonnaie : incursion au cœur de la nébuleuse Liyeplimal

Liyeplimal est-elle la voie royale vers la fortune ou bien s’agit-il tout simplement d’un dangereux scam (terme anglais signifiant « arnaque ») ? Notre décryptage

« La pauvreté est finie ». Le slogan marketing de Liyeplimal pourrait à lui tout seul balayer d’un revers de la main un siècle de théorie économique. Invraisemblable à priori, même si le promoteur du groupe Global Investment Trading(GIT) qui porte cet outil d’investissement, y croit dur comme fer. A 39 ans, Emile Parfait Simb (EPS) se présente comme la preuve vivante de ce qu’investir sur de la cryptomonnaie est plus que rentable.  Cet ancien enseignant vacataire qui a tout misé sur les devises numériques décentralisées peut être fier de son ascension sociale. Vêtements et véhicules de luxes, bijoux de valeurs, le désormais Golden Boy soigne son image à la hauteur de ses moyens. Le Camerounais revendique aujourd’hui un empire économique riche d’une vingtaine d’entreprises réparties dans plusieurs secteurs : l’immobilier, les liqueurs, le transport aérien, la restauration, l’auto-école, la vente en ligne et la cryptomonnaie entre autres. C’est à cette dernière que le natif de Douala doit son ascension, lui qui affirme urbi et orbi avoir brassé plusieurs millions de dollars en investissant sur des actifs digitaux comme le bitcoin et autres.

Lire aussi : Binance déploie ses efforts d’éducation en cryptomonnaie au Cameroun

Il ne se contente pas que d’investir ; il crée ses propres token (actifs numériques émis et échangeables sur une blockchain) dont Simbcoin et Limocoin.  Le dernier a été émis sur 2 blockchains que sont Etherum et Binance. Selon une note d’information, Liyeplimal annonce avoir émis à son lancement 3,650 milliards de Limocoin d’une valeur de 1 dollar l’unité.

Le cours de ce dernier aura connu des fortunes diverses avant de tout récemment connaître une chute spectaculaire. Sur coinmarketcap, une plateforme mondiale de suivi de toutes les cryptomonnaies, la valeur du jeton numérique est aujourd’hui à 0,02658 dollars, soit environ 15 FCFA. Avant cet événement, Liyeplimal accusait déjà des retards dans le paiement des intérêts dus aux investisseurs. Suffisant pour semer un vent de panique au sein de la communauté des investisseurs, et jeter l’opprobre sur son instigateur taxé à tout vent d’escroc.

Liyeplimal : investissement ou arnaque à la Ponzi ?

A première vue, c’est un business très juteux puisque les packs de jetons numériques achetés donnent droit à des taux de rentabilité qui tournent entre 2 et 37% en un an. Plus la mise est élevée, plus la rentabilité croît. Suffisant pour attirer beaucoup de monde ; sauf que les retards de paiement observés et même l’impossibilité pour les souscripteurs de rentrer en possession de leur mise initiale laisse penser à première vue à l’écroulement de la Pyramide de Ponzi. Il s’agit ici d’un montage financier frauduleux qui consiste à rémunérer les investissements des clients par les fonds procurés par les nouveaux entrants. Dans ce type de schéma, si l’escroquerie n’est pas découverte, elle finit par apparaître au grand jour lorsque les investisseurs sont trop nombreux à réclamer leurs mises en même temps. L’hypothèse est confirmée par un analyste Bitcoin résidant en France contacté par EcoMatin : « C’est techniquement impossible de garantir un taux de rentabilité aussi élevé sur un actif volatile. D’après mon analyse, Liyeplimal est en train de promettre des retours sur investissements qui défient toute logique. La seule façon de garantir un retour sur investissement c’est en recrutant de nouvelles personnes. Limocoin serait une parfaite copie de Bitconnect, une cryptomonnaie née en 2016 et évoluant sur le modèle de Ponzi, mais qui s’est finalement effondrée en 2018, laissant de nombreux investisseurs sur le carreau. Pour l’instant, nous sommes au bout de la pyramide et c’est la raison pour laquelle vous entendez de plus en plus des personnes qui ne parviennent pas à être comblées. »

Lire aussi : Après la Cosumaf, l’Etat du Cameroun veut réguler la circulation des cryptomonnaies sur son territoire

Contacté, EPS esquisse un léger sourire avant d’affirmer que les retards de paiement tiennent juste d’une lenteur dans les procédures. « Nous devons vérifier l’identité de ceux qui font les demandes de retrait pour éviter le phénomène de financement de terrorisme et de blanchiment d’argent. Nous devons nous rassurer que le nom qui a créé le compte liyeplimal est le même nom OM ou MoMo qui retire de l’argent. Cela demande plus de temps et de concentration et lorsqu’on a plus de 58 000 demandes de retrait en un mois, il est normal que cela nous prenne plus de 60 jours pour traiter, d’où ce retard », explique EPS. Le PDG de GIT ne part pas sans dénoncer « une campagne de dénigrement ourdie [contre moi] pour faire tomber ma structure ». « Plusieurs lobbies dont je ne citerais pas le nom se sont arrangés pour faire tomber Liyeplimal. Certains paient même les influenceurs Facebook et YouTube pour dénigrer l’image de marque de cette structure qui a toujours respecté ses engagements depuis 4 ans. L’objectif est de créer la panique envers les investisseurs pour que ceux-ci se ruent pour les retraits afin que la structure soit asphyxiée » conclue-t-il.

Lire aussi : La Cosumaf prépare un texte pour réglementer la circulation des cryptomonnaies dans la Cemac

A la question de savoir s’il est possible de garantir des taux de rentabilité aussi élevés, notre interlocuteur répond, sans ciller, par l’affirmative. « En Janvier 2020, un bitcoin valait 7000 dollars, aujourd’hui il en vaut 35000. Ne sommes-nous pas là largement au-dessus de 30% ?», interroge-t-il. Avant de poursuivre : « Les sociétés de gestion d’actifs et sociétés de bourses agrées dans la Cemac qui offrent des rendements de 5% viennent investir sur nos produits, perçoivent des gros rendements au détriment de leur clientèle. Je suis l’homme à abattre parce que j’ai sorti le secret de la rentabilité à haute échelle ».

Le cours en chute libre

L’un des récents événements qui a remis au goût du jour le débat sur le Limocoin est la chute de son cours, preuve d’une extrême volatilité. Néanmoins, ce qui donne de la valeur à une cryptomonnaie c’est son utilité. Dans le cas échéant, EPS aurait créé une vingtaine d’entreprises avec comme moyen de paiement le Limo ou encore Simbcoin. Simb Airlines, Simbcity, LiMarket…Malgré les recherches, difficile d’avoir les bilans annuels de ces entités qui seraient, selon le promoteur, présentes dans une centaine de pays. « En émettant pour 3,650 milliards de dollars de Limo, l’activité de Liyeplimal devrait avoir généré des bénéfices équivalent de 3,6 milliards pour couvrir les investissements. Ce qui peut difficilement être prouvé jusqu’ici. Nous voyons beaucoup de projets sur maquettes mais peu de réalisations concrètes. Ce qui nous conforte davantage dans l’idée d’une arnaque », commente un conseiller en investissement financier agréé par la Cosumaf.

Lire aussi : Education financière : Bridge consulting met la cryptomonnaie à la portée de tous

Pour EPS, les raisons de cette chute se trouvent dans les fluctuations de l’offre et la demande. « Puisqu’une cryptomonnaie repose sur la loi de l’offre et la demande, alors lorsque la demande est forte, la monnaie prend de la valeur comme le cas du Limocoin à son entrée en bourse début décembre 2021 où il avait une valeur de 15 dollars. Depuis environ 3 semaines, l’offre étant supérieure à la demande, il est normal que le Limocoin perde la valeur toutes les cryptomonnaies traversent cela. Aujourd’hui, le Limocoin vaut 0,03 dollars, mais dans deux ans, je peux vous garantir qu’il vaudra au moins 20 dollars ».

Illégal ou pas ?

Pour l’instant, lancer un appel public à l’épargne pour investir sur des actifs digitaux est proscrit dans la Cemac, même si la Cosumaf élabore encore un cadre réglementaire pour cela. Néanmoins, le gendarme du marché financier en Afrique centrale n’a pas manqué à plusieurs reprises d’attirer l’attention des investisseurs sur les risques encourus par des investissements sur ces produits. La Cosumaf a même été suivie dans son élan par le ministère camerounais des Finances qui menace de poursuites judiciaires les acteurs effectuant du trading sur crypto actifs. Au rang des incriminés, GIT. Malgré ces rappels à l’ordre, la structure continue d’exercer au vu et au su des autorités.

Lire aussi : Crypto monnaie : le Cameroun cherche sa voie

Contacté par EcoMatin, le promoteur de GIT reconnaît à demi-mot sa position quelque peu inconfortable, mais garde un fort espoir en le processus d’encadrement actuellement en élaboration. « N’oublions surtout pas que les crypto-monnaies sont un phénomène nouveau et donc, la Cosumaf a certainement besoin de temps pour comprendre afin de voir quoi faire en ce qui concerne la réglementation. Moi je suis acteur, je suis un investisseur, un entrepreneur, mon rôle est de former les jeunes, de les informer afin qu’ils puissent se prendre en main et cesser de croire que l’état va tous les recruter un jour. J’aide mon pays à ma manière ainsi que tous les autres pays d’Afrique à atteindre leur point d’employabilité des jeunes » indique-t-il.

Centralisation/Décentralisation

 L’un des principes chers aux cryptoactifs, c’est celui de la décentralisation qui suppose la liberté dans les transactions sans le contrôle d’une entité. Dans un réseau décentralisé, il n’existe pas de hiérarchie. Aucun acteur (ou groupe d’acteurs) ne peut exercer une influence démesurée sur les autres. L’une des critiques formulées à l’encontre du Limocoin réside sur ce point. « La décentralisation peut s’exprimer sur plusieurs vecteurs, par exemple celui du partage des jetons si la majorité des jetons est contrôlée par peu de personnes, alors ceux-ci détiennent une plus grande influence sur le prix. Ceci crée donc une hiérarchie entre les différents acteurs du réseau, et il sera donc moins décentralisé sur ce vecteur. Les dix adresses (“comptes”) les plus fournies en Limocoin contrôlent plus de 80% des jetons» commente sous anonymat notre expert Bitcoin. En comparaison avec d’autres cryptomonnaies plus connues, on constate que plus de 700 adresses contrôlent 80% des jetons de Dogecoin en circulation ; 15000 adresses contrôlent 80% de Bitcoincash tandis que 100000 contrôlent 80% du Bitcoin, la cryptomonnaie la plus célèbre. Est-ce pour autant un motif de décentralisation ? « C’est un signe indéniable de forte centralisation. Si de surcroît ces adresses sont contrôlées par la même personne, ce qui est une possibilité à ne pas exclure, alors ce serait encore pire. Celui ou ceux qui les contrôlent pourraient inonder le marché avec leurs jetons et ainsi faire chuter le prix » répond notre expert. EPS balaie d’un revers de la main ces arguments arguant que celui qui les avance « ne sait pas de quoi il parle ».

Afficher plus

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page