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Eaux minérales : au-delà de l’affaire Sano, le problème de la certification

L’usage frauduleux par Sano de l’étiquette « Eau minérale naturelle » n’est en réalité que l’arbre qui cache la forêt. Plusieurs autres distributeurs d’eaux de table, sinon la quasi-totalité, portent cette inscription sur leurs produits en violation des normes en la matière. Une tromperie sur la marchandise qui a prospéré et est désormais érigée en règle au grand dam des consommateurs, qui sont les seules vraies victimes de ces produits frauduleux, avec des conséquences néfastes inestimables sur leur santé.

L’actualité a été polarisée en fin de semaine dernière par « l’affaire Sano », en référence à la suspension le 4 mars dernier pour une durée de six mois de l’entreprise éponyme, par le ministre des Mines, de l’Industrie et de Développement Technologique, Gabriel Dodo Ndoké. Le lendemain, la Brigade Nationale de Contrôle et de répression des fraudes a procédé au retrait systématique des produits Sano ciblés sur le marché camerounais. Les pouvoirs publics contestent entre autres à cette entreprise l’usurpation de la dénomination « Eau minérale naturelle » étiquetée sur ses produits alors qu’à l’analyse des échantillons, elle est non-conforme aux exigences normatives, et ne peut dont pas être considérée comme telle. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles l’Agence de la Norme et de la Qualité (Anor), a rejeté le 26 février dernier sa demande de certification.

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Les responsables de l’entreprise ont plus ou moins reconnu, au cours d’une conférence de presse vendredi dernier à Douala, que leur produit appartient plutôt à la catégorie « Eau de source », qui diffère de l’ « Eau minérale naturelle » dans sa composition. D’après la « Norme Camerounaise NC 05 : 2001-02 » éditée pour la première fois en 2001 par la Cellule de Normalisation et de la Qualité, ce qui deviendra plus tard l’Anor, l’ « Eau minérale naturelle » est caractérisée par sa teneur en certains sels minéraux, les proportions de ces sels et la présence d’oligo-éléments ou d’autres constituants ; elle provient directement de nappes souterraines par des émergences naturelles ou forcées, pour lesquelles toutes les précautions devraient être prises afin d’éviter toute pollution ou influence extérieure sur ses propriétés physiques et chimiques.

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Elle est composée de substances ne pouvant pas excéder les chiffres suivant : « Antimoine : 0,005 mg/l ; Arsenic 0,05mg/l ; Barium : 1mg/l ; Borate : 5mg/l ; Cadmium : 0,003mg/l ; Chrome : 0,05mg/l ; Cuivre : 1mg/l ; Cyanure : 0,07mg/l ; Plomb : 0,01mg/l, Manganèse : 2mg/l ; Mercure : 0,001mg/l ; Nickel : 0 ;02mg/l ; Nitrate : 50mg/l ; Nitrite : 0,02mg/l ; Sélénium : 0,05mg/l ».

Capharnaüm

Il n’est pas superflu de rappeler que l’usage par Sano de l’étiquette « Eau minérale naturelle » n’est que l’arbre qui cache la forêt car, plusieurs autres distributeurs d’eaux, sinon la quasi-totalité, portent cette inscription sur leurs produits. Et pourtant, à l’épreuve des faits, ces eaux ne remplissent pas toutes les exigences normatives et de qualité qui permettent de les classifier dans cette catégorie de prestige, quoique faiblement minéralisée pour certaines. Elles sont pour la plupart des « eaux potable destinée à la consommation humaine ».

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Une tromperie sur la marchandise qui a prospéré et est désormais érigée en règle au grand dam des consommateurs, qui sont les seules vraies victimes de ces produits frauduleux, avec des conséquences néfastes inestimables sur leur santé. « On a beaucoup d’eau de forage sur le marché, mais qui s’arrogent les titres d’eau minérale naturelle. D’ici peu de temps, nous allons lancer ce qu’on appelle le ranking pour permettre aux uns et aux autres de savoir quelles sont les eaux et leur catégorie, parce qu’il y a beaucoup de flou dans ce secteur. Jusqu’ici, les producteurs de ces produits n’ont pas toujours été sincères avec les consommateurs. Il y a beaucoup d’abus, beaucoup de mensonges », déplore Francis Eyala, le président du Réseau national des consommateurs (Rnc), une entité de défense des intérêts des consommateurs.

Responsabilité partagée dans l’affaire Sano

L’affaire Sano a mis en scène trois principales administrations directement concernées par le secteur des eaux minérales, chacune dans son domaine de compétence. La première à avoir porté le tocsin est le ministère des Mines, de l’Industrie et du Développement technologique, qui a prononcé la sanction relative à la suspension des activités de l’entreprise Sano, officiellement pour « non-respect des normes d’exploitation et de conditionnement des bouteilles et des bonbonnes d’eau destinées à la consommation du public ».

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Une décision qui intervient moins d’un an après que le parton de ce département ministériel, Gabriel Dodo Ndoké, a autorisé à cette entreprise « l’implantation et l’exploitation complémentaire d’un établissement de première classe (…) pour la production et la commercialisation de l’eau minérale, des jus de fruits, et des boissons hygiéniques », lit-on dans la correspondance du ministre adressée au directeur général de Sano SA le 28 avril 2020. Selon toute vraisemblance, Gabriel Dodo Ndoke avait donné son accord de principe sans que ses équipes ne procèdent à des contrôles systémiques sur le terrain. Ce qui aurait sans nul doute permis de déceler beaucoup plutôt l’ensemble des dysfonctionnements reprochés à l’entreprise.

De son côté, l’Agence des Normes et de la Qualité du Cameroun (Anor) a brillé par un laxisme et une lenteur administrative légendaire dans le traitement de la demande de certification de l’entreprise. Celle-ci la lui avait adressée le 21 janvier 2020, et c’est plus d’un an après que le directeur de l’Anor a jugé utile d’y apporter une réponse. « J’ai l’honneur de porter à votre connaissance qu’après évaluation de vos produits de marque Sano, il a été constaté que les étiquettes des eaux bouteille (1,5l et 500ml) et des boissons gazeuses sont non-conformes aux exigences normatives », avait répliqué le directeur général de l’Anor, Charles Boto A Ngon, au directeur général de Sano le 26 février 2021.

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Entretemps, le consommateur aura payé le plus lourd tribut avec des préjudices certains sur sa santé, à cause de ces dysfonctionnements administratifs qui pourraient être également imputés au ministère du Commerce avec sa Brigade nationale des contrôles et de la répression des fraudes. Celle-ci a également manqué de vigilance et a brillé par une absence de contrôles dans ce secteur surtout à l’ère de sa libéralisation, ayant l’attention détournée plutôt vers d’autres produits de grandes consommation. Il va sans dire que dans la chaine des responsabilités, si l’entreprise est reprochée d’avoir usurpé d’une étiquette qui ne lui était pas due, entre autres, il n’en demeure pas moins vrai que les différentes administrations concernées sont responsables d’avoir livré le consommateur sur l’autel du capitalisme à tout prix.

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