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Pourquoi la Cobac a-t-elle sanctionné Afriland, Ecobank, UBA et BGFI ?

Selon la Commission bancaire de l’Afrique centrale, ces établissements bancaires ne respectent pas certaines normes prudentielles

Au mois de décembre dernier, la Commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac)  a infligé des sanctions aux managers de cinq établissements bancaires au Cameroun. C’était au terme de sa session du 22 septembre 2018. Abbas Mahamat Tolli, président de la Cobac, par ailleurs gouverneur de la Banque centrale commune aux six Etats de la sous-région, a notamment épinglé Alphonse Nafack, directeur général d’Afriland First Bank. Il  a reçu un avertissement de la Cobac pour non-respect des normes prudentielles et violation de la réglementation sur le change.

A quoi renvoient ces sanctions ? L’on comprend mieux en consultant  la réglementation des changes au Cameroun qui est bâtie autour du Règlement N°02/00/CEMAC/UMAC/CM du 29 avril 2000

Isong Udom d’United Bank for Africa, Gwendoline Nzo-Nguty Abunaw d’Ecobank Cameroun, et Waidi Loukoumanou de BGFIBank Cameroun ont également écopé de sanctions similaires.  La violation des normes prudentielles et le non-respect de la réglementation sur le change ont aussi été imputés à André Alexis Megudju, directeur général du Crédit communautaire d’Afrique, une ancienne microfinance qui a reçu l’agrément de la Cobac à l’exercice de la profession bancaire en mars 2017.

A quoi renvoient ces sanctions ? L’on comprend mieux en consultant  la réglementation des changes au Cameroun qui est bâtie autour du Règlement N°02/00/CEMAC/UMAC/CM du 29 avril 2000. Cette réglementation dispose que, tous les transferts de fonds à l’intérieur de la CEMAC sont assujettis à une commission de transfert déterminée par le libre jeu de la concurrence et ne dépassant pas 0,25 %, non compris la taxe sur le chiffre d’affaires et toute autre taxe spécifique. Cette commission est perçue au bénéfice exclusif de l’intermédiaire agréé, lorsqu’il utilise le canal de ses correspondants extérieurs pour le dénouement de l’opération. En revanche, elle est partagée à parité avec la Banque Centrale, lorsque le transfert est assuré par cette dernière.

Seulement, que les banques ne respectent pas toujours cette disposition. L’infraction ici peut entraîner à terme un risque de change pour un montant supérieur à 100 millions de FCFA sans déclaration préalable auprès de la Banque centrale.

Contagion

Le non-respect sur la réglementation du change n’est pas exclusif au Cameroun. En effet, Geoffroy Désiré Mbock, ex-secrétaire permanent du Groupe d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique centrale (Gabac), a publié début mai 2018, une tribune libre dans la presse camerounaise faisant état des volumes d’argent vendus, dans la zone Cemac (Cameroun, Congo, Centrafrique, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad), au cours de la période 2013-2016.

Le Cameroun, le Congo, et le Tchad apparaissent comme les plus gros acquéreurs de devises. A cet effet, indique cette étude de la Cobac, sur les 3050 milliards vendus pour des euros

Citant une étude de la Commission bancaire d’Afrique centrale (Cobac), l’ancien responsable du Gabac révèle que, pendant la période sous revue, l’ensemble des pays de la Cemac a vendu 3050 milliards FCFA en contrepartie d’euros et 1434 milliards FCFA pour acheter des dollars US. Ce qui fait un total global de 4 484 milliards FCFA vendus via le change manuel en contrepartie de devises.

Le Cameroun, le Congo, et le Tchad apparaissent comme les plus gros acquéreurs de devises. A cet effet, indique cette étude de la Cobac, sur les 3050 milliards vendus pour des euros, le Cameroun à lui seul totalise 1531 milliards, soit plus de la moitié des CFA vendus dans la sous-région. Cela représente plus du quart du budget actuel dans le pays. Et sur les 1434 milliards cédés par la Cemac en contrepartie des dollars, le Cameroun a vendu 433 milliards FCFA. Soit un total de 1964 milliards sortis du territoire camerounais pour avoir des euros et des dollars.

Deux autres données statistiques apparaissent : le Tchad a cédé 685 millions FCFA pour acheter des euros. Le Congo, quant à lui, a vendu 896,5 millions FCFA en contrepartie de dollars américains. Les autres pays de la Cemac, dont les données n’apparaissent pas dans l’étude citée, se partagent le reste du volume d’argent sorti de la sous-région.

Selon Geoffroy Désiré Mbock, il y a lieu de conclure que la saignée ci-dessus apparaîtrait certainement plus importante si les données intégraient les autres opérateurs et modes de transfert de fonds conventionnels. Il s’agit principalement des produits proposés par les banques pour les transferts de fonds intra-groupe : Africash, pour UBA ; Rapid Transfer et Cash Express, pour Ecobank ; Flash Transfer pour Afriland First Bank ; BGFI Express par Bgfi Bank et Wafacash pour le groupe Attijariwafa et les produits proposés par Express Union International. Auxquels, il convient d’ajouter les flux de transfert de fonds générés par les opérateurs de téléphonie mobile.

Vers une cessation de correspondance bancaire à l’étranger

Les banques de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), dont le Cameroun, pourraient perdre leurs correspondants à l’étranger. Le phénomène s’appelle « de-risking ». Même si cela n’a pas fait l’objet d’une communication particulière, le sujet a été évoqué au cours du Comité ministériel de l’Union monétaire de l’Afrique centrale (Umac) tenu à Brazzaville, au Congo, le 12 avril dernier. C’était sous la présidence de Régis Immongault Tatangani, ministre gabonais de l’Economie.

« Le Comité ministériel s’est également penché sur la problématique de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme dans les relations de correspondance bancaire pour cause d’inadéquation des dispositifs en vigueur, autrement appelé ‘’de-risking’’ », indique le communiqué final des travaux. L’Umac établit ainsi une corrélation entre les activités de blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et le risque pour les banques de la sous-région de perdre leurs correspondants à l’étranger, si rien n’est fait pour inverser la donne.

Pour comprendre l’inquiétude de l’Umac, il faut se rappeler que le Groupe d’Action contre le blanchiment d’argent en Afrique centrale (Gabac) tire la sonnette d’alarme, depuis plusieurs années déjà. Le lundi 09 octobre 2017,  par exemple, Teodoro Obiang Nguema, président de la République de Guinée équatoriale, a accordé une audience à l’ex-secrétaire permanent du Gabac,  le Camerounais Désiré Geoffroy Mbock.

Avec Teodoro Obiang Nguema, M. Mbock avait procédé à l’évaluation du dispositif juridique et institutionnel de la République de Guinée équatoriale en 2016. Evaluation dont les résultats ont conduit le Gafi (Groupe d’action financière) à inscrire le pays sur la liste des Etats non coopératifs en matière de lutte anti-blanchiment et contre le financement du terrorisme. Par conséquent, comme pays à risque.

une étude de la Commission bancaire d’Afrique centrale (Cobac) citée par l’ex-secrétaire permanent du Gabac révèle qu’en zone Cemac, 4 484 milliards FCFA ont été vendus (période 2013-2016) dans le change manuel en contrepartie d’euros et de dollars US

Désiré Geoffroy Mbock avait alors rappelé à son interlocuteur qu’à l’instar des sociétés de messagerie financière telles que Western Union et Moneygram qui ont arrêté leurs activités en Guinée équatoriale, des institutions de la place financière internationale ont aussi suspendu leurs opérations. Ce qui traduit la rupture des services de correspondants que certains établissements de crédit internationaux offraient aux banques de Guinée équatoriale pour assurer la couverture en devises des ordres reçus de leur clientèle.

Par ailleurs, une étude de la Commission bancaire d’Afrique centrale (Cobac) citée par l’ex-secrétaire permanent du Gabac révèle qu’en zone Cemac, 4 484 milliards FCFA ont été vendus (période 2013-2016) dans le change manuel en contrepartie d’euros et de dollars US. Ce qui fait dire à M. Mbock : « certaines origines et/ou destinations de ces fonds permettent d’envisager que ces derniers aient pu faire l’objet de blanchiment ou aient servi au financement du terrorisme, d’autant qu’il faut reconnaître que l’activité de transfert de fonds est essentiellement exercée par les sous-agents, généralement des établissements de microfinance, dotés de personnels peu formés et plus préoccupés par les commissions engrangées que par la prévention du blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme ».

Le défi des ratios prudentiels

«Aucune banque ne respecte le ratio de la structure du portefeuille-crédits.» Cette révélation est contenue dans un rapport sur la situation économique et financière du Cameroun, produit en février 2018 par le ministère camerounais des Finances (Minfi). En effet, explique un expert du Minfi, « le ratio de la structure du portefeuille-crédits » est l’indicateur qui permet d’observer la qualité d’un portefeuille de crédits d’un établissement bancaire.

« Ce ratio qui doit être au moins égal à 60%, se calcule en divisant les crédits ayant obtenu un accord de classement par le total des crédits alloués. Une dégradation de ce ratio permet de détecter les risques de crises financières et bancaires. Et le Cameroun est actuellement dans ce cas de figure.», explique la source.

A fin juin 2017, la situation des normes prudentielles sur d’autres plans, se présente ainsi qu’il suit : 11 banques sur 14 présentent des fonds propres positifs, 10 banques respectent le ratio de la liquidité, 8 banques seulement respectent le ratio de la couverture des immobilisations, 10 banques respectent le ratio de couverture risques.

Cinq banques (Afriland First Bank, Société générale Cameroun, Ecobank et SCB), concentrent environ 72% de crédits. A fin juin 2017, l’encours de ces crédits est de 3 221,1 milliards FCFA, en hausse de 10% par rapport au 30 juin 2016.

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