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Fiscalité : ce que cachent les bonnes performances de la DGI

L’administration fiscale se félicite de ses performances en matière de collecte des revenus budgétaires hors pétrole et recettes douanières. Mais analysée différemment, cette performance du système fiscal camerounais cache des fragilités qui peuvent être améliorées.

La direction générale des Impôts (DGI) a récemment publié des données faisant ressortir de solides performances en termes de collectes de ressources fiscales non pétrolières. Selon le site d’information Investir au Cameroun, manifestement informé par cette administration, on est parti d’une mobilisation de 855,7 milliards de FCFA en 2010, à 1 944,4 milliards de FCFA au terme de l’année 2019. Cela représente une progression non-négligeable de 127,2%. Plusieurs éléments peuvent expliquer cette performance de la direction générale des Impôts. L’institution a au cours de ces dernières années entrepris une vraie transformation structurelle dont l’aboutissement va se faire en 2018. La réforme liée à la réorganisation des services entamée depuis 2013, avec le recentrage de la direction des grandes entreprises sur la gestion des véritables grandes entreprises et le retrait de la gestion de la TVA des Centre des Impôts au profit des CIME, s’est poursuivie en 2018 par la mise en production de nouveaux CIME, portant ainsi à quinze le nombre de ces structures opérationnelles sur l’ensemble du territoire national.

Au plan quantitatif, la contribution des quinze CIME en 2018 s’est élevée à 134,0 milliards FCFA, soit 6,9% du rendement global de la DGI. Sur le plan organisationnel, l’entité a aussi mis en place de nouvelles unités comme celles en charge de la lutte contre les prix de transferts et a signé plusieurs accords internationaux pour renforcer l’efficacité de la collecte auprès des multinationales. Mais derrière cette « success story » se cache quelques fragilités. La première c’est que lorsqu’on prend en compte l’ensemble des recettes fiscales y compris celles du secteur pétrolier, le Cameroun a fourni beaucoup d’effort et sa progression est notable. Seulement, comparativement à des pays de la même région (Afrique subsaharienne) ou du même profil économique, le niveau de prélèvement fiscal sur le PIB (Produit Intérieur Brut) est encore faible. Cette mesure de la performance part du principe, qu’une part importante de la progression des impôts, se réalise avec l’accroissement de la richesse créée par une économie. Le rôle de l’administration et du système fiscal au-delà de la collecte des ressources pour l’Etat, devient celui de régulateur de la création des richesses. Au Cameroun non seulement la fiscalité ne participe pas pleinement à la création des richesses réelles, mais en plus elle tend à la détruire.

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PIB réel

Selon des rapports publiés par la DGI, les projections fiscales sont faites sur la base des estimations de hausse du PIB et certains autres agrégats. Les experts indiquent que sur ce point précis, il faut identifier la progression du PIB réel, qui prend en compte les prix constants au sein de l’économie, car cette mesure permet de voir la vraie valeur ajoutée qui a été créée dans un pays, avant que ne soit ajouté des facteurs comme celui de la hausse des prix, qui peuvent relever de la spéculation sur les marchés. Sur la base de cette analyse, on estime que les recettes fiscales non pétrolières ont progressé en réalité de 157,8% entre 2006 et 2018, tandis que le PIB à cours constant lui n’a évolué que de 6,18% sur la même période. On note donc que la charge fiscale sur les secteurs productifs a augmenté. Cette charge est encore plus importante, lorsqu’on enlève le secteur pétrolier du PIB. En 2013, 2014 et 2015, les recettes fiscales ont connu une progression moyenne de 14,8% par année, alors que le PIB lui ne progressait que de 6% en moyenne, selon des calculs effectués par Ecomatin sur la base des données de la DGI, et de l’Institut national des Statistiques. Alors qu’à partir de 2016, le pays est entré dans une crise économique et de la balance des paiements, se traduisant par une baisse de la croissance et un programme de réajustement économique sous la houlette du FMI, les recettes fiscales ont continué de progresser à un rythme moyen d’annuel de 6%, avec un pic de 10,2% en 2017, alors que la croissance du PIB même ajusté de l’inflation n’était que de 5,1% La grande question est désormais de savoir sur quoi la DGI est parvenue à tenir son mandat, alors que dans le même temps, le gouvernement a poursuivi avec sa politique des dépenses fiscales (près de 1250 milliards de FCFA entre 2015 et 2018, selon des documents de la DGB).

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Pour le Groupement Inter-patronal du Cameroun (GICAM), la réponse est toute simple, le système fiscal puise dans la trésorerie des investisseurs onshore, notamment les mieux structurés. Il est en effet difficile de comprendre que les recettes d’Impôts sur les Sociétés aient continué de progresser entre 2016 et 2018, alors que durant cette période, des études de l’institut national des statistiques, sur les entreprises modernes révèlent que le chiffre d’affaires des sociétés sous son champs d’analyse a baissé, et que la rentabilité est descendue à près de 0,4% avec des points élevés ou négatifs, selon les secteurs. Certains observateurs estiment que de ce point de vue, l’administration fiscale a manqué de participer à la résilience de l’économie en soutenant la consommation. « En 2014 et 2015, lorsque le taux de charge fiscale augmente, ce qu’on ignore, c’est que le gros du PIB est tiré par des investissements publics, et la hausse des prix du baril de pétrole, deux secteurs qui bénéficient le plus des exonérations fiscales au Cameroun. Le secteur réel et de l’économie quotidienne est en permanence harcelé, ce qui fait qu’ils n’ont pas bénéficié de la période des croissances à plus de 5% », explique sous anonymat un analyste fiscal de Douala.

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Secteur informel

La Covid est venue rajouter des défis supplémentaires à l’économie du Cameroun et pour les entreprises cela se traduit par une ponction significative sur les réserves de trésorerie. Le moratoire fiscal accordé par le ministère des Finances ne semble pas suffire. A Douala par exemple, des PME se plaignent de faire toujours l’objet de vérifications de la part des agents la DGI. Quant aux grandes entreprises qui doivent continuer de préserver les emplois dans un contexte de chute des activités, elles seront contraintes à la fin de régler le précompte minimum sur le chiffre d’affaires. Dans l’administration, on rappelle qu’on n’a pas beaucoup d’options pour élargir l’assiette fiscale, compte tenu de la composition de l’économie nationale, constituée pour une grande part du secteur informel. Mais une étude qui est en cours de finalisation par une ONG locale, et dont EcoMatin a eu une copie exclusive, montre que rien que sur le commerce international légal, les pertes de ressources fiscales sur la période 2008 à 2018 se chiffrent à des dizaines de milliards de dollars américains…

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