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Emprunts obligataires : pourquoi les sociétés de bourse indépendantes dament le pion aux filiales bancaires

Le marché de l’intermédiation financière est en pleine reconfiguration dans l’espace Cemac avec une montée en puissance des sociétés de bourse dites indépendantes qui s’arrogent désormais la quasi-totalité des levées de fonds en capital ou dettes sur le marché financier régional. Au grand dam des filiales adossées à des groupes bancaires. Décryptage.

Pour arranger son premier emprunt obligataire à tranches multiples, la Banque des États de l’Afrique centrale (Bdeac) dirigée par le Camerounais Dieudonné Evou Mekou a recruté un trio inédit constitué de Contracturer Capital (Chef de file), L’Archer Capital et Elite Capital Securities. Ces 3 sociétés de bourse ont ceci de particulier qu’elles sont relativement jeunes. L’Archer Capital et Elite Capital ont été agrées en 2021 par le régulateur du marché financier alors que Contracturer Capital n’a reçu son agrément qu’en octobre 2023.

Bien plus, ce sont des sociétés de bourse dites « indépendantes » c’est-à-dire qu’elles ne sont pas des filiales de groupes bancaires, ce qui marque une rupture de la Bdeac par rapport à ses choix d’intermédiaires financiers réalisés ces dernières années. Les 3 dernières levées de fonds de la Banque régionale de développement réalisées entre 2021 et 2023 étaient jusqu’ici structurés par USCA, SG Capital, Afriland Bourse & Investment et AFG Bourse respectivement filiales de banques de premier plan dans la région à savoir Bicec, Société Générale, Afriland First Bank et BGFIBank. La Bdeac n’est pas le seul émetteur à faire le choix des banques d’affaires indépendantes pour ses opérations de marché. Depuis 4 ans déjà, l’État gabonais fait confiance à ESS Bourse pour ses levées de fonds en tant qu’arrangeur et chef de file. Cette année encore, Libreville a jeté son dévolu sur la société de bourse basée à Douala pour une opération de 150 milliards de Fcfa. Par ailleurs, le Gabon qui a prévu deux autres levées de fonds cette année a choisi de les confier à un duo chapoté par Building Emerging Market Securities (BEMS) une autre société indépendante dont le Conseil d’administration est dirigé par Bertrand Mbouck, par ailleurs DG de Dangote Cement Cameroun. 

Lire aussi : ESS Bourse et CBC Bourse désignées pour structurer l’emprunt obligataire à tranches multiples de 150 milliards de Fcfa du Gabon 

Sur le marché des actions, les deux dernières offres publiques de ventes d’actions (IPO) ont été réalisées par des indépendants à savoir Financia Capital pour La Régionale et Africa Bright Securities pour SCG Ré. Fedhen Capital, une autre entité nouvellement créée a reçu le 5 octobre dernier, s’est vue confier la responsabilité d’accompagner le gouvernement camerounais dans la promotion du marché boursier auprès des entreprises locales. Les exemples sont légion et permettent d’illustrer une nette reconfiguration du marché de l’intermédiation financière anciennement dominé par les banques mais qui aujourd’hui est devenu la chasse gardée d’acteurs peu connus pour la plupart.

Conditions favorables

Deux hypothèses permettent de comprendre cet état de choses. D’abord, le nombre d’intermédiaires indépendants qui a fortement augmenté depuis la fusion en 2018 des deux places de marché (Bvmac et Douala Stock Exchange). Avant cette fusion, les banques côté Cameroun avaient la possibilité d’exercer directement en tant qu’intermédiaires de marché appelés Prestataires de services d’investissement (PSI), sans nécessité de créer des filiales spécialisées. Une posture qui a été fragmentée avec la fusion. « L’agrément en qualité d’intermédiaire de marché ne sera maintenu que moyennant la mise en conformité des prestataires de services d’investissement (PSl) en une société anonyme indépendante et entièrement dédiée à l’activité principale de société de bourse dûment agréée par la Cosumaf », expliquait Nagoum Yamassoum, l’ancien président de la Cosumaf.

L’impératif de créer une nouvelle entité pour les opérations de marché a restreint les appétits de certaines banques traditionnelles mais surtout favorisé l’émergence des groupes indépendants. Sur la vingtaine d’acteurs agrées aujourd’hui, plus de la moitié sont des sociétés de bourse indépendantes. La spécialisation fait que ces dernières sont plus compétitives que les banques dont le cœur de métier est la collecte des dépôts et l’octroi de crédits.

L’autre hypothèse est celle de la concurrence sur les conditions d’emprunts proposés. Il faut savoir que la sélection par les émetteurs – notamment les États- d’un intermédiaire se fait par appel d’offres. L’Etat lance un appel à manifestation d’intérêt auquel les SDB peuvent répondre en lui faisant des propositions financières et techniques qui intègrent des données tels que le taux d’intérêt, le coût de l’opération, le montant de la prise ferme… « La prise ferme est un élément important dans le choix d’un intermédiaire car notre marché est peu profond. Si vous vous cantonnez aux simples collectes auprès du grand public il vous sera difficile de mobiliser l’enveloppe que vous cherchez », confie un intermédiaire de marché. Sur ce point précis, les filiales bancaires sont supposées avoir de l’avance sur les indépendantes ce qui ne semble visiblement pas être le cas.

Lire aussi : Emprunt obligataire 2023 du Cameroun : Afriland Bourse & Investment complète la prise ferme à 104 milliards de FCfa

En effet, les sociétés de bourse, filiales de maisons mères s’adossent directement à leur banque pour mobiliser la prise ferme, sans un autre effort de collecte. C’est ainsi qu’Afriland Bourse aura beaucoup plus de flexibilité à mobiliser de la trésorerie auprès d’Afriland First Bank. Cela peut paraître simple mais pour celles qui sont adossées à des maisons mères internationales avec des conditions de placements rigides, il peut être difficile d’obtenir de sa banque les montants sollicités. A contrario, les sociétés de bourse indépendantes ne subissent point ce diktat. Elles sont en contact avec divers investisseurs institutionnels (banques, assurances, fonds de retraites, entreprises…) ce qui leur permet de diversifier leurs sources de financements. Bien plus, apprend-on, face à la concurrence, ces dernières allègent leurs conditions en proposant notamment des coûts qui peuvent être bas.

Lobbying

Il serait naïf de croire que le choix pour la structuration de centaines de milliards de Fcfa se fait uniquement sur la base des propositions financières et techniques. Derrière se cachent d’intenses opérations de lobbying des promoteurs tapis dans l’ombre mais qui sont les vrais artificiers. « Le choix d’un investisseur se fait aussi sur la base des rapports qu’il peut entretenir avec l’émetteur. Du coup, le carnet d’adresse est un élément important et légitime dans la concurrence qu’il y’a aujourd’hui sur le marché. C’est de bonnes guerres ! », explique notre expert du marché.

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