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Région de l’Est : le marché à bétail de Gbiti se meurt

A cause des incursions répétées des bandes armées depuis les crises successives centrafricaines, les éleveurs de la RCA et du Soudan n’y amènent plus leur bétail. Le nombre de tête de bœufs vendus chaque mardi, jour de ce marché périodique, a chuté de plus de 75% depuis près de 10 ans. Par ailleurs, des tracasseries routières ont découragé les éleveurs en provenance du Tchad et du Grand-Nord à fréquenter ce marché international implanté sur le sol camerounais il y une trentaine d’années.

Depuis quelques années , l’ambiance est morose chaque mardi au quartier Tiké qui abrite le marché périodique de bétail de Gbiti. L’affluence des années antérieures dans cette localité frontalière entre le Cameroun et la République centrafricaine (RCA) dans l’arrondissement de Ketté, département de la Kadey à l’Est a disparu. Le marché, créé il y a 30 ans, est devenu l’ombre de lui-même. « Vraiment, le marché est très mauvais, les éleveurs sont entre deux feux. En RCA, il y a les rebelles qui les agressent lorsqu’ils veulent amener les animaux ici », regrette Aladji Dewa, éleveur de la localité.

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Ce 11 janvier 2022, les registres du Centre zootechnique et vétérinaire de Gbiti indiquent que « seulement 120 têtes de bœufs en provenance de Touboro et Mbaimbom dans la région du Nord ont été recensés sur le marché ». Pourtant, les statistiques des mêmes registres révèlent que jusqu’en 2013, ce marché enregistrait chaque mardi, environ 2000 têtes de bœuf qui étaient tous vendus aux acheteurs en provenance de Bertoua, Yaoundé et Douala « Le marché de bétail de Gbiti est international. Avant la crise centrafricaine, les bœufs venaient du Soudan, du Tchad, du Grand Nord et de la RCA. On exposait environ 2000 bœufs chaque jour de marché. Mais depuis 2013, les éleveurs ne viennent plus », affirme Signing Zella Eric Serge, chef du Centre depuis 2017.

Désagréments

Outre l’insécurité, les tracasseries routières et l’arnaque ont découragé les éleveurs à venir exposer leur bétail chaque mardi. « Les commerçants sont régulièrement victimes de tracasseries militaires entre la RCA et le Cameroun. Pourtant, ils courent de gros risques en allant chercher les bœufs dans ce pays voisin pour satisfaire la forte demande toujours croissante. En dehors des taxes légales que sont la douane et les frais d’inspection sanitaire et vétérinaire, les hommes en tenue exigent souvent jusqu’à 2000 FCFA par tête de bœuf comme condition d’accès au marché. Parfois même, ils interpellent les bergers qui refusent de verser cette somme », s’indigne Yaouba Souleymanou, délégué des commerçants du marché. Ce dernier indique que depuis 2018 qu’il occupe cette fonction, « notre action c’est de lutter contre ces tracasseries pour permettre aux éleveurs de Touboro et Mbaimbom (les seuls qui se battent encore pour ravitailler le marché ; Ndlr) d’amener leur bétail ».

Psychose

L’insécurité et les tracasseries résultent des crises politiques successives en RCA. La première vague de ces rebelles qui sèment la terreur est constituée des éléments ayant pris part à la rébellion qui avait porté François Bozizé au pouvoir en mars 2003. Seulement, nombre de ces « libérateurs » ne seront pas intégrés dans les Forces armées centrafricaines (Faca) comme ils l’espéraient. C’est ainsi qu’ils se sont reconvertis en coupeurs de route. Ceux-ci sont soupçonnés d’être les auteurs des multiples attaques dans les villes frontalières (Toktoyo, Ouli, Ketté, Gbiti) entre 2003 et 2005. En 2013, une deuxième vague de ces hors la loi est née lorsque François Bozizé est chassé du pouvoir par la coalition Séléka. C’est dans ce sillage que dans la nuit du 16 au 17 novembre 2013 Gbiti est attaqué par une colonne des hommes armés de fusils de guerre. Par la suite, un communiqué de presse signé par Edgard Alain Mebe Ngo’o, alors ministre délégué à la présidence chargé de la défense, précisait que « cinq assaillants avaient été tués à cette occasion. Un militaire camerounais a trouvé la mort de même qu’un villageois lors de la contre-offensive de l’armée camerounaise ». A la suite de cette attaque, la population civile avait complètement évacué zone de Gbiti pour se réfugier à Bourbara, Batouri et Bertoua. Toujours à Gbiti, le déroulement du marché de bétail avait été sérieusement perturbé le 1er mai 2012 par une attaque. Selon les commerçants, « il y avait très peu de bétail au marché parce que les éleveurs qui devraient traverser avec les bœufs de la Centrafrique ont été attaqués non loin de la frontière avec le Cameroun ». En termes de bilan, ces différentes incursions depuis près de 20 ans ont laissé plusieurs morts sur le carreau, des centaines d’enfants enlevés et des centaines de millions de Fcfa arrachés auprès des éleveurs, commerçants et orpailleurs.

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C’est donc dans ce contexte de psychose générale que les populations de Gbiti ont assisté à l’atterrissage d’un hélicoptère étranger le 02 décembre 2021 au stade de football du quartier « nous et nous ». Des sources sécuritaires confirment cet atterrissage en expliquant que « c’est par erreur qu’un hélicoptère étranger a atterri dans cette localité de l’arrondissement de Ketté le 02 décembre 2021 ».

Conséquences

C’est donc avec la peur au ventre que les populations de Gbiti et ses environs vivent chaque jour à cause des incursions sporadiques des bandes armés étrangers. « Il y a les coupeurs de route qui braquent régulièrement. Il y a eu braquage chez Aladji Gara au quartier Bonaberi il y a 2 semaines», confirme Sali Bouba, fils du Bouba Hamadou, chef de la communauté musulmane rencontré par le reporter d’Ecomatin à Gbiti au quartier Sololo.

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De son côté, Rémy Bangui, chef de « la communauté Gbaya, âgé de 67 ans, ajoute que « le manque d’eau potable alors que la population a augmenté à cause des refugiés, l’enclavement et la chute du marché du bétail sont des problèmes auxquels nous sommes confrontés ici ». Dans la même lancée, Leny Adaga Vincent, conseiller municipal de la localité, regrette que « depuis quelque temps, la commune de Ketté ne récolte rien à Gbiti parce que toutes les activités économiques, notamment le marché de bétail, sont mortes alors que Gbiti est le poumon économique de la commune». Le conseiller explique que même si la frontière n’est pas officiellement fermée, les cultivateurs, les orpailleurs, les pêcheurs et les chasseurs qui mènent les activités loin de la ville ont peur des armes de guerre qui circulent à grande échelle le long de la frontière. « Gbiti est bloqué et emprisonné par l’insécurité », conclu-t-il.

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« Le marché est complètement à terre »

Youssoufa Oumarou Adjoint au maire de la commune de Ketté et originaire de la localité

Dans les années 80,le marché de bétail de Gbiti se déroulait d’abord en RCA. En 1988-1989, le nommé Aladji Bakari Bouba, grand éleveur, originaire du village Boubara, situé à près de 20 kilomètres de Gbiti, a fait des efforts pour ramener le marché au niveau de Gbiti en terre camerounaise. Depuis ce temps, le marché prospérait bien jusqu’aux années 2000. En 2006, après l’arrivée de Bozizé au pouvoir en RCA, le marché a commencé sa chute avec l’instabilité sécuritaire entretenue par des rebelles qu’il a créés dans ce pays voisin. Les éleveurs n’avaient plus les espaces sécurisés pour le pâturage. Ils étaient réduits au nomadisme commercial qui ne leur garantissait aucune stabilité financière. Aussi, les bœufs qui venaient du Soudan en passant par la Centrafrique ne pouvaient plus arriver au marché à cause de l’instabilité et des agressions. Entre 2013 et 2014, nous avons encore eu la prise de pouvoir en RCA par la Séléka.

C’est à ce moment que le marché est complètement tombé. Néanmoins, il y a des commerçants camerounais qui partent du côté du Nord précisément à Touboro et Mbaimbom pour chercher les animaux et venir revendre ici. Mais ces commerçants se plaignent aussi des tracasseries routières. Avec tout ceci, le marché a connu une chute totale. Il est devenu l’ombre de lui-même. Pourtant, la commune de Ketté compte beaucoup sur ce marché pour les recettes. Nous menons actuellement une réflexion sur des stratégies de son redécollage définitif. En outre, il y a aussi l’enclavement de Gbiti. Il y a un marché de réhabilitation de la route qui relie Boubara et Gbiti, malheureusement l’entrepreneur n’est pas stable sur le chantier, c’est pourquoi les travaux sur le dernier pont avant Gbiti sont tels que vous avez vu».

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