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Dette d’Eneo : au-delà de la Com’, l’obligation d’intégrité (Edito)

Par Emile Fidieck, Directeur de publication du journal EcoMatin.

L’actualité de ces derniers jours sur la dette due par l’Etat à Eneo suscite des interrogations quant à la véracité des données communiquées, la sincérité des chiffres mis en évidence et la crédibilité du discours du DG de cette entreprise. Si on peut comprendre que le Fonds d’investissements Actis veuille récupérer l’argent investi dans le rachat d’AES Sonel en 2014, avant de quitter le Cameroun, ce qui est de bonne guerre, il serait quand même loyal que la démarche de ce dernier soit encadrée d’une éthique certaine, pour ne pas être mise à l’index pour des pratiques innommables. Ceci parce qu’en tout état de cause, dans le tour des médias effectué ces derniers temps par le DG d’Eneo, Amine Homman, des différences apparaissent dans les chiffres qu’il communique.

Et sur chacun des chiffres qu’il donne, ou sur chaque déclaration qu’il fait sur la dette due par l’Etat, l’on note un décalage. Traditionnellement, l’Etat du Cameroun, et c’est un fait inaltérable, accuse des retards de paiement chroniques qui handicapent nombre d’agents économiques dans le règlement de leurs factures. Mais, il est difficilement advenu que la parole de l’Etat soit prise à défaut par un opérateur économique. Du coup, lorsque l’Etat annonce qu’il a payé une prestation, ou, dans le cas d’espèce, les consommations d’énergie électrique à Eneo, l’on s’interroge sur le doute entretenu autour de la sincérité de cette déclaration. Ce d’autant que nous avons reçu, à EcoMatin, après demande d’informations, des documents de conciliation des montants des consommations d’électricité approuvés à la fois par Eneo, l’Etat et le régulateur.

Si on peut comprendre que le Fonds d’investissements Actis veuille récupérer l’argent investi dans le rachat d’AES Sonel en 2014, avant de quitter le Cameroun, ce qui est de bonne guerre, il serait quand même loyal que la démarche de ce dernier soit encadrée d’une éthique certaine, pour ne pas être mise à l’index pour des pratiques innommables.

A la lecture de ceux-ci, l’on s’interroge sur le fait par exemple qu’Eneo annonce n’avoir recouvré que 1,5 milliard de Fcfa en janvier et 1,8 milliard de Fcfa en février ; et que le versement hebdomadaire d’un milliard de Fcfa, en guise de paiement partiel des factures de l’État central, n’a été effectué qu’une seule fois en janvier et en février 2024. Pourtant, les documents consultés par EcoMatin montrent que depuis le début de l’exercice 2024, et ce à la date du 11 avril 2024, la société Eneo a déjà perçu des paiements directs de 8 milliards de Fcfa au titre des avances de paiement sur les consommations des administrations publiques.

Sur la dette allant du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2023, l’énergéticien dit que celle-ci est de 266 milliards de FCFA. L’Etat quant à lui, document à l’appui, montre qu’il a payé sur la période du 1er janvier 2021 au 20 décembre 2023, « un montant en cash de 300 milliards de Fcfa ». Lequel montant exclut les paiements par compensation des impôts et taxes par contraintes extérieures

S’agissant du versement hebdomadaire d’un milliard de Fcfa représentant le paiement partiel des factures de l’État central, une décision d’accélération visant à faire passer ce paiement d’un milliard de Fcfa à 2 milliards de Fcfa par semaine a été prise par l’Etat. S’agissant de la compensation tarifaire, dont le montant concilié et validé par le régulateur et reconnu par Eneo est de 44 435 228 706 Fcfa, le DG affirme n’avoir rien reçu jusqu’ici. Mais, dans le document dont EcoMatin a eu copie, il est clairement indiqué que le ministère des Finances a, à cet effet, effectué une avance de paiement de 25 milliards de Fcfa en début d’année. Ce montant représente plus de 50% de la facture totale, ceci alors que l’année n’est rendue qu’à son 4ème mois.

Sur la dette allant du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2023, l’énergéticien dit que celle-ci est de 266 milliards de Fcfa. L’Etat quant à lui, document à l’appui, montre qu’il a payé sur la période du 1er janvier 2021 au 20 décembre 2023, « un montant en cash de 300 milliards de Fcfa ». Lequel montant exclut les paiements par compensation des impôts et taxes par contraintes extérieures.

Jusqu’ici, les deux acteurs ont très peu levé le voile sur les chiffres de leur comptabilité à la presse, se limitant à fournir des informations parcellaires, partielles et partiales, au gré de leurs intérêts et au bon vouloir de leurs agendas respectifs

Cette guerre des chiffres à laquelle se livrent ces deux acteurs du secteur de l’électricité au Cameroun laisse entier le problème : celui de la transparence qui devrait encadrer les opérations de conciliation des chiffres par chaque partie. Et celui-ci se pose à un double niveau. D’abord, il faut que les deux acteurs consentent à ouvrir leur comptabilité à la presse, qui souhaite réaliser des enquêtes sur la dette de l’Etat due à Eneo. Jusqu’ici, les deux acteurs ont très peu levé le voile sur les chiffres de leur comptabilité à la presse, se limitant à fournir des informations parcellaires, partielles et partiales, au gré de leurs intérêts et au bon vouloir de leurs agendas respectifs.

Cette guerre des chiffres souligne à grands traits la responsabilité de l’Agence de régulation du secteur de l’électricité (Arsel) à l’égard de l’opinion publique. Il lui appartient de se montrer transparente, en publiant les chiffres véritables. D’autant qu’il s’agit de fonds publics, et donc, de ressources de la collectivité, qui sont en jeu. En tant qu’arbitre du secteur énergétique, l’Arsel gagnerait à rétablir la vérité des faits, comme il fut un temps où sa consœur des télécommunications (ART) publiait des informations sur le marché des télécommunications et évitait aux Camerounais de subir la publicité abusive des opérateurs de téléphonie qui revendiquaient, chacun à son tour le leadership dans tel ou tel segment de marché. De fait, les régulateurs camerounais doivent sortir de la culture de l’opacité qui les caractérise.

Sur un tout autre plan, la guerre de communication sur les dettes brandies ici et là ne résout pas le problème de la disponibilité de l’énergie électrique, n’améliore pas la qualité du service, tout comme elle ne remet pas financièrement le secteur en équilibre

Si l’on peut se féliciter de la réaction de l’Etat qui s’efforce depuis la création par le chef de l’Etat du Comité interministériel chargé du rachat des 51% d’actifs détenus par Actis dans la compagnie camerounaise d’électricité Eneo, de mettre à la disposition des données actualisées, documents à l’appui, l’on devrait également s’attendre à ce qu’en retour, Eneo, dans ce même élan de transparence et de préservation de son honneur, donne accès aux médias pour consulter les documents sur les aspects de sa comptabilité en lien avec la dette qu’il réclame à l’Etat.

Aussi, à défaut d’associer les journalistes aux sessions régulières de conciliation des chiffres, les deux parties devraient à la fin de chaque épisode dédié à cette opération, produire un communiqué conjoint retraçant l’historique des consommations, le montant réglé par l’Etat ou Eneo, les paiements en cours, les reliquats actualisés des sommes dues. Cette démarche permettra de montrer les efforts de règlement effectués de part et d’autre, et va tordre le cou aux querelles de chiffres par médias interposés.

Cette guerre des chiffres souligne à grands traits la responsabilité de l’Agence de régulation du secteur de l’électricité (Arsel) à l’égard de l’opinion publique. Il lui appartient de se montrer transparente, en publiant les chiffres véritables.

Sur un tout autre plan, la guerre de communication sur les dettes brandies ici et là ne résout pas le problème de la disponibilité de l’énergie électrique, n’améliore pas la qualité du service, tout comme elle ne remet pas financièrement le secteur en équilibre. Car, au rythme où s’amoncellent les dettes réclamées par chaque partie, l’on court, premièrement, inexorablement vers l’effondrement du secteur de l’électricité au Cameroun. Deuxièmement, l’Etat se dirige de manière tout aussi inexorable vers un risque budgétaire systémique, à même de s’étendre et d’affecter le fragile équilibre de certaines entités publiques.

…ne l’oublions pas, c’est l’Etat du Cameroun qui joue gros sur sa crédibilité, à travers un procès retentissant à l’international que pourrait lui coller le fonds d’investissement britannique Actis, l’actionnaire majoritaire d’Eneo

Il pourrait également hériter d’une ardoise bancaire contrariante pour ses caisses, déjà asphyxiées par d’autres contraintes de souveraineté. Et enfin, ne l’oublions pas, c’est l’Etat du Cameroun qui joue gros sur sa crédibilité, à travers un procès retentissant à l’international que pourrait lui coller le fonds d’investissement britannique Actis, l’actionnaire majoritaire d’Eneo.

Par Emile Fidieck, DP EcoMatin

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