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Vie chère: quand les revenus des travailleurs ne suivent pas

Malgré son échelle de salaires parmi les plus bas au monde et ses 8 millions de pauvres, le Cameroun semble s’accommoder d’une inflation qui se généralise au fil du temps.

La dernière hausse des salaires des fonctionnaires et agents de l’Etat décidée au Cameroun par le président de la République, Paul Biya, date du 07 juillet 2014. Elle était de 5% et, comme en avril 2008 où une hausse de 15% avait été décidée pour noyer le poisson, celle-ci était intervenue après une nouvelle augmentation du prix du carburant à la pompe. Si ces mesures présidentielles ont pu être un grand bol d’air pour les employés de l’Etat, leur impact n’a pas été considérable en termes d’amélioration du niveau de vie des bénéficiaires. Enseignants, statisticiens, économistes, ingénieurs, etc., travaillant pour le secteur public, ils ont toujours souhaité retrouver le niveau des salaires d’avant la crise de la fin des années 1980 et des années 1990 – leurs revenus avaient pratiquement été divisés par trois. En dehors d’une petite fourchette d’entreprises publiques et parapubliques, de quelques multinationales en activité au Cameroun et d’une minorité de sociétés privées qui rémunèrent bien (ou relativement bien) leurs personnels, l’échelle des salaires dans le pays est demeurée l’une des plus basses au monde.

Une étude publiée il y a deux ans par la coordination locale du système des  Nations unies, révèle que plus de 37% des habitants du Cameroun, soit plus de8 millions de personnes, vivent toujours sous le seuil de pauvreté

Plus grave, le Salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig), qui est le salaire mensuel en deçà duquel aucun travailleur du privé et du public ne doit être payé,    est maintenu, en 2019,  à 36 270 Fcfa, contre 150.000 Fcfa dans un pays comme le Gabon. En la matière, le Cameroun est d’ailleurs classé parmi les derniers pays en Afrique. De tels revenus ne sont pas capables de soutenir la hausse des prix qui se généralise à un rythme inacceptable depuis un certain temps. Une étude publiée il y a deux ans par la coordination locale du système des  Nations unies, révèle que plus de 37% des habitants du Cameroun, soit plus de8 millions de personnes, vivent toujours sous le seuil de pauvreté. C’est-à-dire, avec moins de 1,90 dollars par jour, soit environ 1000 Fcfa.


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La quatrième Enquête camerounaise auprès des ménages (Ecam 4) réalisée par l’Institut national de la statistique (INS) et publiée en 2017, elle, établit qu’entre 2001 et 2014, l’incidence de la pauvreté n’a reculé que de 2,7 points, passant de 40,2% à 37,5%. « Selon l’approche subjective, qui reflète la perception que chaque individu a de sa propre situation comparativement aux autres, 56,8% de chefs de ménage se considèrent pauvres ou très pauvres », note l’enquête. Qui attire l’attention sur « l’aggravation des inégalités qui, en atténuant l’impact de la croissance économique, traduit les efforts à déployer pour que les mesures de réduction de la pauvreté déjà engagées ou envisagées profitent prioritairement aux populations pauvres ou vulnérables ».

Le spectre de février 2008 

En attendant la publication par l’Institut national de la statistique (Ins) des chiffres officiels sur l’évolution des prix à la consommation des ménages au troisième trimestre 2018 et au premier trimestre 2019, le niveau général des prix des denrées de première nécessité sur le marché camerounais est de plus en plus source d’inquiétudes. En dehors des savons et, dans une moindre mesure, des huiles végétales qui connaissent une certaine stabilité du fait, dit-on, de la surproduction de l’industrie locale, il y a une surchauffe des prix qui ne dit pas son nom, y compris sur les produits du cru. Et, avec la chute de la production agricole dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, il y a à craindre que l’inflation ne finisse par dépasser de loin, à moyen, voire à court terme, le seuil des 3% admis par les critères de convergence de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). Un tel niveau de vie serait simplement asphyxiant pour les ménages. Dans le contexte actuel de vives tensions politiques et sociopolitiques, il ne serait pas bon que les ingrédients d’une nouvelle déflagration sociale continuent de se réunir.


>> Lire aussi – Poisson et riz: comment les prix ont augmenté en catimini


On est là pratiquement dans la situation d’avant les « émeutes de la faim » de février 2008, à la seule différence peut-être que, la menace de l’augmentation des prix du carburant à la pompe qui avait servi d’étincelle à la crise d’il y a 11 ans n’est pas à l’ordre du jour. Mais, après l’augmentation effective du coût de la bière depuis trois semaines, le gouvernement en général et le ministère du Commerce en particulier doit impérativement redoubler de vigilance en termes de contrôle des prix sur le marché des produits de grande consommation. Parce que, à la vérité, l’envolée des prix que l’on observe sur le riz et le poisson, pour ne prendre que ces deux exemples, est davantage le fait de commerçants véreux qui profitent de la faiblesse du dispositif de surveillance du marché pour pratiquer une spéculation sauvage. Il y a aussi et surtout l’utilisation quasi-généralisée, dans des villes comme Yaoundé et Douala, de balances truquées pour mesurer au kilogramme le poisson, la viande, le riz, la farine, etc., en toute impunité. Au point où, certains en viennent à s’interroger aujourd’hui sur le véritable rôle d’une structure comme la Brigade nationale de contrôle et de répression de la fraude, logée au ministère du Commerce.

les pouvoirs publics doivent établir une nouvelle grille de prix sur les produits agroalimentaires manufacturés et les mettre à la disposition des consommateurs, afin d’anticiper sur toute velléité de soulèvement

Pour la préservation de la paix sociale, l’acte du ministre du Commerce, Luc Magloire Mbarga Atangana, de convoquer les responsables du principal importateur du poisson et des autres produits de mer pour voir clair sur la situation de ces denrées est salutaire. Mais il devrait élargir le dialogue avec les acteurs des autres filières, voire même les sommer de s’expliquer sur les augmentations abusives auxquelles ils ont procédé en catimini ces derniers mois. Au besoin, les pouvoirs publics doivent établir une nouvelle grille de prix sur les produits agroalimentaires manufacturés et les mettre à la disposition des consommateurs, afin d’anticiper sur toute velléité de soulèvement à l’image de celui qui a failli faire basculer le Cameroun dans un inacceptable cycle de violence en février 2008.

L’échec de la Mirap ?

L’année 2019 s’est ouverte sur une surchauffe sur le marché des denrées alimentaires de grande consommation, aussi bien pour ce qui est des produits du cru que pour ceux de l’agro-industrie. Après avoir été contenus tant bien que mal pendant quelques après les « émeutes de la faim » de février 2008, les prix repartent à la hausse à une vitesse qui est telle que, si rien n’est fait dans l’urgence par les autorités publiques, l’inflation pourrait, dans un avenir très proche, devenir asphyxiante pour les ménages camerounais, pauvres dans leur immense majorité. Les causes principales régulièrement invoquées pour expliquer l’envolée des prix sur le marché sont le coût du transport,  jugé très élevé depuis la hausse du carburant à la pompe en 2014, et la sécheresse. Autre facteur et non des moindres, c’est l’exportation vers les pays voisins, notamment la Guinée équatoriale et le Gabon, des vivres produits au Cameroun, alors même qu’il n’y a pas de signe de surabondance de la production. Les vivres ne font certes pas partie des produits dont les prix sont homologués, mais, il faudrait tout de même un minimum de contrôle pour limiter la spéculation sauvage. Des efforts ont été faits par les pouvoirs publics pour maintenir à un niveau raisonnable le coût de la vie.


>> Lire aussi – La bourse des matières premières agricoles aux oubliettes


Créée le 1er février 2011 par décret présidentiel, la Mission de régulation des approvisionnements des produits de grande consommation (Mirap) était chargée, en tant que structure d’alerte, de l’achat, de l’importation et du stockage des produits dits de grande consommation, en vue d’un approvisionnement du marché dans de meilleures conditions. A ce titre, elle était censée procéder à l’achat de ces denrées à des meilleurs prix, afin de constituer des stocks de sécurité, soit directement, soit par l’intermédiaire de prestataires, etc. Malheureusement, elle n’a pas été à la hauteur des attentes des consommateurs. Plus grave, elle n’a jamais procédé à la moindre importation des produits de grande consommation de son portefeuille. Or, c’est dans ce segment-là qu’elle est le plus attendue. Dans son cahier de charges, la Mirap devait implanter 20 marchés témoins périodiques dans les principales métropoles que sont Yaoundé et Douala, soit 10 par ville, et deux dans chacun des huit autres chefs-lieux de régions. A ce jour, ces marchés sont rares.

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