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Les dessous du départ de Paul Kammogne Fokam de Guinée Equatoriale

Selon les informations de EcoMatin, cette rupture de bans repose d’une part sur le refus du banquier de soumettre les activités de sa holding, Afriland First Group basé en Suisse, et qui jusqu’à 2017 contrôlait Afriland First Bank, African leasing Company et CCEI Bank Guinée Equatoriale au contrôle de la Cobac. D’autre part, l’on note l’émergence de la Bange Bank S.A dans le secteur où il était leader et la détérioration des rapports entre le milliardaire et la famille présidentielle équato-guinéenne. Lire notre enquête.

Fin de parcours pour Afriland First Group(AFG) en Guinée Equatoriale ! La holding bancaire fondée par le camerounais Paul Fokam Kammogne en 2008, ainsi que sa filiale camerounaise (Afriland First Bank) ne figurent plus dans l’actionnariat de la CCEI Bank Guinée Equatoriale. Au moment où elle décide de se retirer, Afriland First Group est comme qui dirait poussée vers la sortie tant par les contraintes structurelles que conjoncturelles.

Règlementation contraignante

Pour bien cerner les contours de cette décision, il faut revenir en 2015. Cette année-là le conseil des Ministres de l’Union Monétaire d’Afrique Centrale(Umac) adopte le règlement relatif à la supervision des holdings financières et à la surveillance transfrontalière. Cette norme communautaire qui renforce les pouvoirs de la commission bancaire d’Afrique centrale(Cobac) en matière de contrôle du secteur financier, lui permet de toucher à travers les filiales, les maisons mères d’institutions financières ne faisant pas l’objet de contrôle par les autorités compétentes de leur pays. Pour sa part, AFG, qui sur son site internet se définit comme un regroupement d’investissements d’un ensemble d’Africains au sein des banques Afriland First Bank à travers le monde, décide de s’opposer à cette norme communautaire.

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Immatriculée en Suisse en qualité de société commerciale, la holding laisse entendre au régulateur de la Cemac qu’elle ne fait pas partie de sa sphère de contrôle. Pour la Cobac, la question ne se pose pas. Afriland First Group ayant des participations dans des entreprises du secteur financier dans la Cemac, elle devrait être soumise au contrôle. Exception faite si elle présente les éléments prouvant que ce contrôle bancaire se fait à priori dans son pays d’origine, conformément au règlement susmentionné. A titre d’exemple, nous révèle un spécialiste, Atlantic Finance Group, bien que basé en Afrique de l’Ouest est assujetti au contrôle de la Cobac. De ce fait, le régulateur avait adressé une correspondance à son homologue en Suisse pour s’assurer que le groupe était bien sous sa supervision. En réponse, le régulateur helvétique explique que AFG échappe aux normes prudentielles bancaires car n’ayant pas de filiale en Suisse.

En 2016, malgré plusieurs invitations, à des réunions de supervision avec la Cobac et la Beac, un rapport du régulateur dont EcoMatin a consulté la copie affirme que les responsables d’AFG répondent aux abonnés absents. Seules les filiales (Africa Leasing Company, CCEI Bank et Afriland First Bank) sont représentées. «Afriland First Group, simple investisseur et simple société de portefeuille n’exerce pas d’activité financière, industrielle, commerciale ou de service, donc ne peut se voir incluse dans le contrôle d’une activité bancaire » confie un responsable du groupe qui renchérit, « le règlement relatif à la supervision des holdings financières n’est pas applicable à Afriland First group ». Un argument qui semble impertinent aux oreilles du gendarme du secteur bancaire dans la Cemac car l’article 1er du règlement cité plus haut, défini la holding financière comme toute « entité qui, quel que soit son statut juridique, sa dénomination et le lieu de son siège social, exerce de manière ultime directement ou indirectement, un contrôle exclusif, conjoint ou une influence notable sur un établissement assujetti ».

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Comme une énième tentative de faire plier la Cobac, la holding va déposer auprès justice de la Cemac un recours pour solliciter l’annulation de sa classification en tant qu’assujetti. Une tentative qui ne va malheureusement pas aboutir. Face à cet échec, le magnat de la finance a opté de se départir de deux de ses filiales en zone Cemac, question d’annihiler les contrôles du régulateur. En 2017, il fait absorber Africa Leasing Company, par Afriland First Bank Cameroun, puis en 2018 engage le processus de cession de ses 66 000 actions détenues à CCEI Bank à l’Etat guinéen. Pour la Beac, cette stratégie est une erreur car même sortie de ces deux entités, la maison mère n’est pas à l’abri d’un contrôle du gendarme financier. Afriland First Group étant toujours présent dans la sous-région à travers Afriland First Bank Cameroun. « Si elle veut se soustraire du contrôle du régulateur sous régional, la seule issue pour le groupe et son fondateur est de sortir de toute activité bancaire en zone Cemac » explique à EcoMatin une source proche du dossier.

Entrée en scène de Bange Bank S.A

Autre raison qui justifie le départ de la holding, c’est la situation financière de CCEI Bank. Installée depuis 1994, bien avant le boom pétrolier, à une époque ou peu de grands groupes pouvaient risquer de gros investissements en Guinée-Equatoriale, la CCEI BANK GE était la toute première banque à s’implanter dans le pays. Leader incontesté, la banque a cependant souffert de l’arrivée de la concurrence, et plus particulièrement de la Bange Bank S.A. Détenu à 59% par l’Etat équato-Guinéen, l’établissement de crédit, qui gagne de plus en plus des parts de marché, est le seul dont la maison mère est basée en Guinée Equatoriale. Autant le dire, l’élan nationaliste qui anime de plus en plus les Etats ne semble pas avoir épargné les gouvernants équato-guinéens.

A cela s’ajoute la chute, en 2015, des prix des matières premières ayant entrainé une sévère crise économique dans les pays pétroliers de la Cemac dont la Guinée Equatoriale. La conséquence de tout ceci est que la situation de CCEI Bank n’a eu de cesse de se détériorer. Son total bilan est passé de 2,7 milliards d’euros en 2014, à 1,27 milliards un an plus tard. A cela, s’ajoute le climat devenu particulièrement délétère entre Paul Fokam Kammogne et Teodoro Obiang Nguema. De bonnes sources, le président équato-guinéen avait à un moment envisagé une expropriation de l’établissement de crédit. Tensions qui se sont soldées sur un accord entre les deux parties.

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Selon les dernières informations, la maison mère a cédé à l’Etat guinéen ses actifs (66%) au sein de la banque pour un montant de 44,7 millions d’Euros, soit 29,35 milliards de FCFA, l’homme d’affaires camerounais ayant fait une offre de départ de 35 milliards de FCFA. Cette session vient ainsi reconfigurer l’actionnariat de la banque. L’Etat guinéen devient majoritaire avec 76% des parts, il est suivi par le groupe Abayak (9%) détenu par la famille présidentielle et des actionnaires privés nationaux qui se partagent les 15% restants.

Désormais propriétaire, Malabo place ses pions au sein de l’institution financière. Le 09 janvier dernier à l’issu d’un conseil d’administration extraordinaire, Agapito Teodosio Nguema Obiang Ona Mba a officiellement été désigné au poste de Directeur général de la Banque en remplacement de Joseph Célestin Tindjou. Si le nouveau propriétaire prend déjà ses marques, l’ancien lui est encore loin d’avoir bouclé cette opération. Contacté par EcoMatin, un cadre d’Afriland laisse entendre que «il n’est pas très élégant, par respect pour son ancien partenaire de communiquer sur un dossier encore en cours de négociation». La banque déclare cependant qu’elle n’est toujours pas entrée en possession des 29,35 milliards de Fcfa que la guinée équatoriale affirme lui avoir versé et qui se trouvent bloqués à la Beac. L’institut d’émission commune aux six pays de la Cemac se refusant de valider ce transfert de fonds sur le compte Suisse de la holding tant qu’elle ne sera pas en règle avec le régulateur sous régional. Autant dire que l’affaire est loin d’être terminée.

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